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Voix de la Foule chez Tacite

Extemplo Libyae magnas it Fama per urbes, / Fama, malum qua non aliud velocius ullum [...]

(Virgile, Énéide, 4.173-174)

Illustration médiévale de la Fama

Illustration de l'édition Brant de l'Énéide, Strasbourg 1502

Affichage du corpus

En jaune, les termes renvoyant à une vocalisation collective. En vert, le discours indirect rattaché à la foule.

351/430 [Hist] IV, 20 Victoire des cohortes bataves contre la légion de Bonn
Les cohortes bataves qui avaient fait défection (cf. Tac., Hist., 4.19) marchaient pour faire jonction avec les troupes de Civilis. Hordeonius Flaccus n'agit pas assez vite pour les stopper ; en revanche, Herennius Gallus, légat de la légion I Germanica stationnée à Bonn, tenta une sortie contre les rebelles. Ce fut un échec sanglant.
Victores [cohortes Batauorum] colonia Agrippinensium uitata, nihil cetero in itinere hostile ausi, Bonnense proelium excusabant , tamquam petita pace, postquam negabatur, sibimet ipsi consuluissent. Les Bataves, vainqueurs, évitèrent Cologne, n’osant rien d’hostile dans le reste de leur trajet ; ils justifiaient le combat à Bonn en affirmant qu’ils avaient cherché la paix et que, après qu’on la leur eut refusée, ils avaient veillé à leur vie.
352/430 [Hist] IV, 21 Julius Civilis tente de faire prêter serment aux légions romaines
Deux légions romaines (la XV Primigenia et la V Alaudae) étaient retirées dans le camp de Vetera, non loin de Cologne, suite à la défaite humiliante de Munius Lupercus (cf. Tac., Hist., 4.18). Julius Civilis, qui feignait de combattre pour Vespasien (nous sommes en septembre 69 et la guerre entre Vespasien et Vitellius n'est pas terminée), chercha à leur faire prêter serment à l'usurpateur flavien.
Redditur responsum [legionum] : neque proditoris neque hostium se consiliis uti ; esse sibi Vitellium principem, pro quo fidem et arma usque ad supremum spiritum retenturos : proinde perfuga Batauus arbitrium rerum Romanarum ne ageret , sed meritas sceleris poenas expectaret On lui rend la réponse suivante : ils ne prenaient conseil ni d’un traître, ni des ennemis ; ils avaient un prince, c’était Vitellius, auquel ils garderaient la fidélité de leur bras jusqu’à leur dernier souffle. Que ce déserteur Batave ne joue donc pas le rôle d’arbitre des affaires romaines, et qu’il attende plutôt le châtiment que lui vaut son crime !
353/430 [Hist] IV, 23 Charge des Bataves contre le camp de Vetera
Le siège de Vetera (Castra Vetera, aujourd'hui Xanten, où étaient enfermées deux légions romaines) commença avec une charge violente des Bataves et de leurs alliés germains.
Post ubi pleraque telorum turribus pinnisque moenium inrita haerebant et desuper saxis uulnerabantur, clamore atque impetu inuasere uallum, adpositis plerique scalis, alii per testudinem suorum. Puis, comme la plupart de leurs traits s’accrochaient sans aucun effet aux tours et aux merlons des murailles et que des pierres lancées d’en-haut les blessaient, ils poussèrent une clameur et chargèrent le retranchement, la plupart en y apposant des échelles, d’autres en utilisant la tortue de leur armée.
354/430 [Hist] IV, 24 Contre-attaque des Romains contre les Bataves
Pour lever le siège de Vetera, que Civilis et les Bataves faisaient subir à deux légions romaines, Hordeonius Flaccus décida de confier deux légions, la IV Macedonica et la XXII Primigenia, stationnées à Mayence, à C. Dillius Vocula. Pendant la marche, des rumeurs hostiles au gouverneur, qui suivait l'armée par voie maritime (il avait la goutte), se firent entendre.
Neque enim ambigue [milites] fremebant : emissas a Mogontiaco Batauorum cohortis, dissimulatos Ciuilis conatus, adsciri in societatem Germanos . Non Primi Antonii neque Muciani ope Vespasianum magis adoleuisse . Aperta odia armaque palam depelli ; fraudem et dolum obscura eoque ineuitabilia . Ciuilem stare contra, struere aciem : Hordeonium e cubiculo et lectulo iubere quidquid hosti conducat . Tot armatas fortissimorum uirorum manus unius senis ualetudine regi ; quin potius interfecto traditore fortunam uirtutemque suam malo omine exoluerent. His inter se uocibus instinctos flammauere insuper adlatae a Vespasiano litterae, quas Flaccus, quia occultari nequibant, pro contione recitauit , uinctosque qui attulerant ad Vitellium misit. En effet, les soldats d’Hordeonius Flaccus grondaient sans chercher à se cacher qu’il avait laissé s’échapper de Mayence les cohortes des Bataves, caché les tentatives de Civilis, appelé les Germains à une alliance. Ni l’appui d’Antonius Primus ni celui de Mucien n’avaient plus grandi le pouvoir de Vespasien. Les haines ouvertes et les combats, c’est au grand jour qu’on les repoussait ; mais la ruse et la rouerie étaient secrètes, et donc inévitables. Civilis leur faisait face debout, il disposait son armée ; à l’inverse, c’est de sa chambre, de son lit qu’Hordeonius donnait toutes sortes d’ordres qui avantageaient l’ennemi. Un si grand nombre de troupes en armes, de soldats si braves, guidés par un seul vieillard en mauvaise santé ! Pourquoi ne pas plutôt tuer ce traître et ainsi délivrer leur fortune et leur valeur de ce mauvais augure ? Eux qui s’excitaient de ces propos s’enflammèrent en outre d’une lettre envoyée par Vespasien, que Flaccus, ne pouvant la cacher, fit lire en assemblée ; il envoya les messagers enchaînés à Vitellius.
355/430 [Hist] IV, 25 Hostilité des soldats contre Hordeonius Flaccus
Tout comme chez les deux légions qui marchaient contre Civilis (cf. Tac., Hist, 4.24)l'état d'esprit des légionnaires de la première légion, stationnée à Bonn et qui avait connu l'échec contre les Bataves (cf. Tac., Hist., 4.20), était particulièrement hostile au gouverneur.
Infensior illic [Bonnae] miles culpam cladis in Hordeonium uertebat : eius iussu derectam aduersus Batauos aciem, tamquam a Mogontiaco legiones sequerentur ; eiusdem proditione caesos, nullis superuenientibus auxiliis : ignota haec ceteris exercitibus neque imperatori suo nuntiari , cum adcursu tot prouinciarum extingui repens perfidia potuerit. […] Exim consensu ducem Voculam poscentibus , Flaccus summam rerum ei permisit. À Bonn, les soldats étaient plus hostiles à l’égard d’Hordeonius : ils lui imputaient leur défaite. C’était sur son ordre, disaient-ils, que l’armée avait été dirigée contre les Bataves car, à l’entendre, les légions étaient parties de Mayence pour les suivre ; c’était encore à cause de sa trahison qu’ils avaient été massacrés, comme aucune aide ne les avait rejoints ; et cela restait ignoré des autres armées, et l’on ne l’annonçait pas à l’empereur, alors que l’afflux de tant de provinces aurait pu éteindre promptement la perfidie. […] Puis, comme ils se mettaient d’accord pour réclamer Vocula comme chef, Flaccus lui remit la direction des affaires.
356/430 [Hist] IV, 26 Colère des légions romaines
L'irritation des légions du Rhin contre leurs chefs, tout particulièrement Hordeonius Flaccus, les poussait à interpréter des événements naturels (sécheresse, etc.) comme des signes divins.
Quod in pace fors seu natura, tunc fatum et ira dei uocabatur. Ce qui, en temps de paix, était appelé « hasard » ou « nature » devenait alors « destin » et « colère divine ».
357/430 [Hist] IV, 27 Les soldats s'en prennent à Herennius Gallus et Hordeonius Flaccus
L'armée romaine venue affronter les Bataves s'installa à Novaesium, où les trois légions mobilisées furent rejointes par une quatrième, la XVI Gallica, qui stationnait sur place. C'était désormais Vocula (et non plus Hordeonius Flaccus) qui était en charge de l'armée ; il était secondé par Herennius Gallus, légat de la première légion. Ce dernier envoya une troupe reprendre un navire chargé de blé que convoitaient les Germains ; l'affrontement tourna au profit des seconds, déclenchant une nouvelle fois l'ire des légions.
Victi [Romani], quod tum in morem uerterat, non suam ignauiam, sed perfidiam legati [Galli] culpabant. Protractum e tentorio, scissa ueste, uerberato corpore , quo pretio, quibus consciis prodidisset exercitum, dicere iubent . Redit in Hordeonium inuidia : illum auctorem sceleris, hunc ministrum uocant, donec exitium minitantibus exterritus proditionem et ipse Hordeonio obiecit . Les Romains, battus, firent ce qui était alors devenu une coutume : ils ne blâmaient pas leur faiblesse, mais la perfidie du légat Gallus. Traîné hors de sa tente, l’habit déchiré, le corps meurtri, ils lui demandent le prix auquel il a trahi l’armée, les personnes qui sont complices. La haine retourne sur Hordeonius : ils appellent l’un l’auteur du forfait, l’autre son exécuteur, jusqu’à ce que le légat lui-même, effrayé par les menaces de mort, accuse aussi Hordeonius d’avoir trahi.
358/430 [Hist] IV, 28 Civilis accentue le siège de Vetera
Depuis septembre 69, Civilis menait le siège du camp de Castra Vetera, dans lequel deux légions romaines (la XV Primigenia et la V Alaudae) étaient enfermées. Les succès des Bataves l'engagèrent à renforcer l'attaque, en utilisant principalement les troupes de ses alliés germains.
Actae utrobique praedae [a Ciuili], infestius in Vbiis, quod gens Germanicae originis eiurata patria (Romanorum nomen) Agrippinenses uocarentur . […] Transrhenanos proelium poscentis ad scindendum uallum ire detrusosque redintegrare certamen [Ciuilis] iubet, superante multitudine et facili damno. Civilis fit faire du butin des deux côtés, mais avec plus d’hostilité envers les Ubiens car ce peuple, d’origine Germaine, avait renié sa patrie et se faisait appeler par un nom Romain, les « Agrippiniens ». […] Les Transrhénans demandaient le combat : Civilis leur ordonne d’aller détruire le retranchement et, comme ils sont repoussés, de renouveler l’attaque : de fait, le nombre de ses soldats était abondant et c’était un dommage facile à subir.
359/430 [Hist] IV, 29 Attaque de nuit des Germains sur Vetera
L'attaque renouvelée contre le camp romain de Vetera (cf. Tac., Hist., 4.29) conduit les belligérants à combattre de nuit. Les Germains (Bataves et alliés) étaient alors désavantagés par la lumière que produisaient les feux de camp. Civilis agit pour résoudre ce problème.
Intellectum id Ciuili et restincto igne misceri cuncta tenebris et armis iubet. Tum uero strepitus dissoni , cursus incerti, neque feriendi neque declinandi prouidentia : unde clamor acciderat, circumagere corpora, tendere artus ; nihil prodesse uirtus, fors cuncta turbare et ignauorum saepe telis fortissimi cadere. Civilis comprit cela et il ordonne que l’on éteigne les feux, mélangeant tout dans les ténèbres du combat. Ce fut alors un fracas dissonant, un mouvement incertain, et l’on ne pouvait prévoir les coups ou les esquives ; là où l’on entendait une clameur, l’on se retournait, l’on tendait le bras ; la valeur n’était d’aucune utilité, le hasard troublait tout et, souvent, les traits des lâches tuaient les plus courageux.
360/430 [Hist] IV, 31 Les légions du Rhin hésitent à prêter serment à Vespasien
Lorsque l'issue de la seconde bataille de Bédriac (24 octobre 69) fut connue à Novaesium, où les légions du Rhin cherchaient à endiguer la révolte barbare, Hordeonius Flaccus essaya de faire prêter serment à ses troupes à Vespasien. Seuls les auxiliaires gaulois (sans doute de Gaule Belgique) n'opposèrent pas de résistance.
Sed adigente Hordeonio Flacco, instantibus tribunis , [uetus miles] dixit sacramentum , non uultu neque animo satis adfirmans : et cum cetera iuris iurandi uerba conciperent, Vespasiani nomen haesitantes aut leui murmure et plerumque silentio transmittebant. Mais comme Hordeonius Flaccus le leur dictait, que les tribuns les pressaient, les vieux soldats prononcèrent le serment, qu’ils ne confirmaient guère ni par leur expression, ni par leurs pensées ; et alors qu’ils exprimaient les paroles de la formule, ils hésitaient sur le nom de Vespasien, ou alors le répétaient en un léger murmure, la plupart se taisant.
361/430 [Hist] IV, 32 Civilis se plaint du traitement qu'il a subi des Romains
La guerre civile étant terminée, des négociations s'ouvrirent entre les Romains (représentés par Hordeonius Flaccus et Vocula) et les Bataves de Civilis. Celui-ci signifia à l'émissaire romain, Montanus, sa colère face au traitement subi comme auxiliaire dans l'armée romaine.
[Civilis] « egregium » inquit « pretium laborum recepi, necem fratris et uincula mea et saeuissimas huius exercitus uoces , quibus ad supplicium petitus iure gentium poenas reposco […] ». « C’est une excellente récompense, dit Civilis, que j’ai obtenue pour mon labeur : le meurtre de mon frère, les chaînes sur mon corps et les cris d’une cruauté immense de cette armée qui réclame mon supplice : moi, je demande réparation, selon le droit des peuples […]. »
362/430 [Hist] IV, 33 Importante victoire des Romains à Gelduba
L'échec des tractations suite à l'accession au pouvoir de Vespasien (cf. Tac., Hist., 4.32) conduisit Civilis à presser à nouveau les Romains. Il envoya des troupes expérimentées contre le camp de Gelduba, où se trouvait une partie des troupes romaines (conduites par Vocula et Herennius Gallus). On s'acheminait vers une nouvelle défaite romaine, quand une troupe de Vascons arriva en renfort et enveloppa les Bataves.
Vasconum lectae a Galba cohortes ac tum accitae, dum castris propinquant, audito proeliantium clamore intentos hostis a tergo inuadunt latioremque quam pro numero terrorem faciunt , aliis a Nouaesio, aliis a Mogontiaco uniuersas copias aduenisse credentibus. On faisait alors venir les cohortes de Vascons levées par Galba ; comme elles s’approchaient du camp, entendant la clameur des combattants, elles chargent dans leur dos les ennemis absorbés par la bataille, et répandent une terreur disproportionnée par rapport à son nombre : les uns croyaient que Novaesium avait envoyé toutes ses troupes, les autres que c’était Mayence.
363/430 [Hist] IV, 34 Les Romains lèvent le siège de Vetera
Profitant de la victoire de Gelduba (cf. Tac., Hist., 4.33), Vocula marcha vers Castra Vetera et réussit à lever le siège que menait depuis plusieurs mois Julius Civilis, à l'issue d'un combat particulièrement chaotiques, lors duquel diverses informations contradictoires circulèrent.
Hinc in ducem [Voculam] clamor [Romanorum] pugnam poscentium ; et minari adsueuerant . […] Quidam recentis uictoriae memores retinere locum, ferire hostem, seque et proximos hortari et redintegrata acie manus ad obsessos tendere ne tempori deessent. Illi cuncta e muris cernentes omnibus portis prorumpunt. Ac forte Ciuilis lapsu equi prostratus, credita per utrumque exercitum fama uulneratum aut interfectum, immane quantum suis pauoris et hostibus alacritatis indidit . D’où une clameur des soldats romains contre Vocula pour réclamer le combat ; de fait, ils avaient l’habitude de menacer. […] Certains se souvenaient de leur récente victoire : ils tenaient leur place, frappaient l’ennemi, s’exhortaient et exhortaient leurs voisins et, comme la ligne s’était reformée, ils tendaient les mains aux assiégés afin qu’ils ne fissent pas défaut à l’occasion. Ceux-là voyaient tout depuis les murailles ; aussi s’élancent-ils par toutes les portes. Or, par hasard, le cheval de Civilis trébucha et le fit tomber ; la rumeur, crue par les deux armées, selon laquelle il était blessé ou mort, provoqua, et ce dans une mesure prodigieuse, la crainte chez ses soldats et l’ardeur chez ses ennemis.
364/430 [Hist] IV, 35 Rumeurs des légions de Vetera contre les chefs romains
Le siège de Vetera était levé, mais il fallait désormais ravitailler le camp. Vocula mit en place un système de ravitaillement, qui fut difficile à maintenir, du fait de l'agressivité des Bataves, lesquels n'avaient pas abandonné la guerre. À cela s'ajoutait la colère des deux légions de Vetera, dont une partie avait été choisie pour renforcer l'armée de Vocula (qui retournait à Gelduba), contre l'état-major romain.
Addit exercitui suo Vocula mille delectos e quinta et quinta decima legionibus apud Vetera obsessis, indomitum militem et ducibus infensum . Plures quam iussum erat profecti palam in agmine fremebant , non se ultra famem, insidias legatorum toleraturos ; at qui remanserant, desertos se relictosque abducta parte legionum querebantur. Duplex hinc seditio, aliis reuocantibus Voculam, aliis redire in castra abnuentibus. Vocula ajouta à son armée mille soldats pris dans les cinquième et quinzième légions qui avaient été assiégées à Vetera : c’était une troupe insoumise et qui haïssait les chefs. Il en partit plus qu’il n’en était ordonné, et ils frémissaient ouvertement pendant la marche : ils ne tolèreraient pas plus loin la faim et la rouerie des légats ; quant à ceux qui étaient restés, ils se plaignaient d’avoir été abandonnés et délaissés quand une partie de la légion leur avait été enlevée. D’où une double révolte, les uns rappelant Vocula, les autre refusant de revenir dans le camp.
365/430 [Hist] IV, 36 Sédition des légions et meurtre d'Hordeonius Flaccus
Alors que Civilis profitait de la retraite des Romains vers Novaesium pour infliger un nouveau siège au camp de Vetera, l'arrivée de l'armée de Vocula (à laquelle avait été incorporée certains éléments des deux légions assiégées à Vetera, la XV Primigenia et la V Alaudae) accentua le climat séditieux. L'octroi du donatiuum au nom de Vespasien et non de Vitellius (qui avait envoyé l'argent) fut l'élément déclencheur d'une mutinerie qui coûta la vie au gouverneur, Hordeonius Flaccus, et contraignit Vocula à s'enfuir.
Et aduentu quintanorum quintadecimanorumque auctae legiones donatiuum exposcunt , comperto pecuniam a Vitellio missam .  Et, grossies par l’arrivée de la cinquième et de la quinzième, les légions réclament vivement le donatiuum, en sachant très bien que c’est Vitellius qui a envoyé l’argent.
366/430 [Hist] IV, 38 Rumeurs sur le ravitaillement à Rome
Au début de l'année 70 ap. J.-C., des rumeurs agitaient la plèbe romaine quant à la situation en Afrique, où l'on pensait que L. Calpurnius Piso (proconsul de la province) organisait le blocus de Rome.
Sed quia naues saeuitia hiemis prohibebantur , uulgus alimenta in dies mercari solitum, cui una ex re publica annonae cura , clausum litus, retineri commeatus, dum timet, credebat, augentibus famam Vitellianis , qui studium partium nondum posuerant, ne uictoribus quidem ingrato rumore , quorum cupiditates externis quoque bellis inexplebilis nulla umquam ciuilis uictoria satiauit. La rigueur de l’hiver tenait les navires éloignés, c’est pourquoi pour la foule, qui était habituée à acheter quotidiennement sa nourriture et n’avait, dans tout l’État, d’autre souci que l’annone, le littoral était fermé, l’approvisionnement retenu, et en craignant cela, elle s’en persuadait ; de plus, les Vitelliens, qui n’avaient pas encore laissé de côté l’attachement pour leur parti, contribuaient à enfler une rumeur que les vainqueurs ne regardaient pas non plus avec mépris : leur cupidité, insatiable même pendant les guerres étrangères, ne se satisfit jamais de quelque victoire pendant les guerres civiles.
367/430 [Hist] IV, 45 Charivari contre Manlius Patruitus
Lors d'une séance du sénat du début de l'année 70 ap. J.-C., le sénateur Manlius Patruitus rapporta avoir été l'objet d'un charivari par la plèbe de Sienne.
Manlius Patruitus senator pulsatum se in colonia Seniensi coetu multitudinis et iussu magistratuum querebatur ; nec finem iniuriae hic stetisse : planctum et lamenta et supremorum imaginem praesenti sibi circumdata cum contumeliis ac probris , quae in senatum uniuersum iacerentur. Le sénateur Manlius Patruitus se plaignit qu’il avait été bousculé dans la colonie de Sienne par un rassemblement de foule et sur ordre des magistrats ; il affirmait que ce n’avait pas été là la fin du dommage : on l’avait entouré de déplorations, de lamentations, d’un similis de funérailles, alors qu’il était bien présent, en l’injuriant et en l’insultant avec des propos qui se portaient contre le Sénat dans son intégralité.
368/430 [Hist] IV, 46 Réorganisation du prétoire par Mucien
La fin de la guerre civile laissait Rome avec un problème d'effectif militaire, en particulier chez les prétoriens : aux soldats installés par Vitellius s'ajoutaient les vainqueurs flaviens, qui pouvaient prétendre à être incorporés à cette armée d'élite, et les anciens Othoniens, qui s'étaient engagés assez tôt du côté de Vespasien, et cherchaient à regagner leur place. En l'absence de Vespasien, ce fut Mucien qui s'occupa (énergiquement) de régler la situation. Il recourut à une mise en scène qui donna à croire aux Vitelliens vaincus qu'ils allaient être décimés.
Praetorianam militiam repetebant a Vitellio dimissi, pro Vespasiano congregati ; et lectus in eandem spem e legionibus miles promissa stipendia flagitabat . […] Vt uero huc illuc distrahi coepere [Germanici Britannicique milites], metus per omnis et praecipua Germanici militis formido , tamquam ea separatione ad caedem destinaretur. Prensare commanipularium pectora, ceruicibus innecti, suprema oscula petere, ne desererentur soli neu pari causa disparem fortunam paterentur ;  modo Mucianum, modo absentem principem, postremum caelum ac deos obtestari, donec Mucianus cunctos eiusdem sacramenti, eiusdem imperatoris milites appellans , falso timori obuiam iret ; namque et uictor exercitus clamore lacrimas eorum iuuabat. Isque finis illa die. Paucis post diebus adloquentem Domitianum firmati iam excepere : spernunt oblatos agros , militiam et stipendia orant. Preces erant, sed quibus contra dici non posset ; igitur in praetorium accepti. Les prétoriens dissous par Vitellius revendiquaient leur poste : ils s’étaient rassemblés en faveur de Vespasien. Par ailleurs, des soldats choisis dans les légions [flaviennes] étaient conduits aux mêmes espérances et demandaient ce salaire qui leur avait été promis. […] Mais lorsque les soldats germains et bretons commencèrent à être répartis dans tel ou tel groupe, ce fut la crainte chez tous, et le plus gros de la peur fut ressentie par les Germains : on les destinait à la mort, pensaient-ils, par cette division. Ils se mirent à étreindre leur compagnons de manipule, à s’attacher à leur cou, à demander un ultime baiser : ils défendaient qu’on ne les isolât, qu’une même cause ne leur coûtât un destin différent ; c’est tantôt Mucien, tantôt le prince absent, et enfin le ciel et les dieux qu’ils prennent à témoin, jusqu’à ce que Mucien, les appelant tous soldats du même serment, du même empereur, ne dissipât cette fausse angoisse ; et, de fait, l’armée victorieuse aussi secondait leurs larmes par sa clameur. Ce fut-là la fin de cette journée. Quelques jours plus tard, déjà raffermis, ils accueillirent le discours de Domitien ; ils méprisent les terres qu’on leur offre, demandent le service et sa solde. C’étaient bien des prières, mais de celles que l’on ne peut contredire ; par conséquent, on les incorpora aux prétoriens.
369/430 [Hist] IV, 49 Manœuvres pour éliminer L. Pison, proconsul d'Afrique
L. Calpurnius Piso (petit-fils de Cn. Piso, assassin supposé de Germanicus), était proconsul d'Afrique en 69-70 ; le bruit courait qu'il cherchait à organiser le blocus du ravitaillement de Rome (cf. Tac., Hist., 4.38). Mucien manœuvra habilement pour éliminer ce dangereux personnage, dont la culpabilité ne semble d'ailleurs pas parfaitement établie : il envoya un centurion nommé Papirius pour faire croire à un soulèvement local en faveur du proconsul, légitimant ainsi sa mise à mort par le légat de la légion d'Afrique, Valerius Festus.
Centurio a Muciano missus, ut portum Carthaginis attigit, magna uoce laeta Pisoni omnia tamquam principi continuare, obuios et subitae rei miraculo attonitos ut eadem adstreperent hortari . Vulgus credulum ruere in forum, praesentiam Pisonis exposcere ; gaudio clamoribus que cuncta miscebant, indiligentia ueri et adulandi libidine. Dès que le centurion envoyé par Mucien atteint le port de Carthage, il enchaîne d’une voix forte à l’endroit de Pison tous les vœux de bonheur que l’on réserve à un prince, et exhorte ceux qui étaient présents, surpris par l’étrangeté de cette situation soudaine, à s’en faire l’écho. La foule crédule se précipite au forum, réclame la présence de Pison ; ils mêlaient tout dans leurs clameurs de joie, tout indifférents à la vérité et désireux d’adulation qu’ils étaient.
370/430 [Hist] IV, 50 Valerius Festus ordonne la mort de L. Pison, proconsul d'Afrique
Alors que le stratagème de Mucien a parfaitement fonctionné et donné à croire en un soulèvement de L. Pison, proconsul d'Afrique (cf. Tac., Hist., 4.49), Valerius Festus, légat de la legio III Augusta, ordonna de le mettre à mort.
Sed ubi Festo consternatio uulgi, centurionis supplicium ueraque et falsa more famae in maius innotuere , equites in necem Pisonis mittit. Lorsque que l’agitation du peuple, la punition du centurion, les informations vraies et fausses qu’apportait, exagérées comme d’ordinaire, la rumeur, furent connues de Festus, il envoie des cavaliers tuer L. Pison.
371/430 [Hist] IV, 51 Rumeurs sur l'attitude de Domitien à Rome
Vespasien se trouvait encore en Égypte au début de l'année 70. Il y apprit l'attitude arrogante de son fils Vespasien, seul membre de la nouvelle famille impériale présent à Rome (Titus étant resté en Judée).
Vespasianus in Italiam resque urbis intentus aduersam de Domitiano famam accipit , tamquam terminos aetatis et concessa filio egrederetur : igitur ualidissimam exercitus partem Tito tradit ad reliqua Iudaici belli perpetranda. Vespasien restait attentif à la situation de l’Italie et aux affaires de Rome ; il apprit ainsi ce qu’on disait de fâcheux sur Domitien : on lui reprochait de sortir des limites propres à quelqu’un de son âge et d’excéder ce qui lui était permis en sa simple qualité de fils. Cela le conduisit à confier la partie la plus robuste de son armée à Titus pour qu’il termine ce qu’il restait à faire dans la guerre des Juifs.
372/430 [Hist] IV, 54 Rumeurs sur les défaites romaines chez les Gaulois
Plusieurs nouvelles, certaines véridiques et officielles (comme la mort de Vitellius, ou l'incendie du Capitole), d'autres circulant sous forme de rumeurs, et parfois fausses (à l'instar de prétendues guerres en Bretagne et en Pannonie), poussèrent les Gaulois à rejoindre les Bataves dans l'insurrection.
Galli sustulerant animos, eandem ubique exercituum nostrorum fortunam rati, uulgato rumore a Sarmatis Dacisque Moesica ac Pannonica hiberna circumsederi ; paria de Britannia fingebantur . Sed nihil aeque quam incendium Capitolii, ut finem imperio adesse crederent, impulerat. Captam olim a Gallis urbem , sed integra Iouis sede mansisse imperium : fatali nunc igne signum caelestis irae datum et possessionem rerum humanarum Transalpinis gentibus portendi superstitione uana Druidae canebant . Incesseratque fama primores Galliarum ab Othone aduersus Vitellium missos, antequam digrederentur, pepigisse ne deessent libertati, si populum Romanum continua ciuilium bellorum series et interna mala fregissent. Les Gaulois s’étaient enhardis en pensant que nos armées vivaient le même mauvais sort : en effet, il s’était répandu une rumeur selon laquelle les Sarmates et les Daces assiégeaient les quartiers d’hiver de Mésie et de Pannonie ; on s’imaginait qu’en Bretagne la situation était semblable. Mais rien autant que l’incendie du Capitole ne les avait poussés à croire que l’Empire vivait ses dernières heures. Autrefois, des Gaulois avaient pris Rome, mais l’Empire avait survécu sans que le séjour de Jupiter ne soit abimé ; les cieux venaient de donner par cet incendie prophétique un signe de leur courroux, et les peuples situés au-delà des Alpes allaient, c’était prédit, posséder l’ensemble du monde : vaines superstitions que psalmodiaient là leurs druides. Le bruit s’était aussi répandu que les chefs gaulois, envoyés par Othon contre Vitellius, s’étaient engagés avant de partir à ne pas faire défaut à la liberté dans le cas où le peuple romain aurait été brisé par une suite sans fin de guerres civiles et de dissensions internes.
373/430 [Hist] IV, 58 Vocula face à la trahison des Trévires et des Lingons
Les auxiliaires trévires et lingons finirent par abandonner l'armée romaine pour s'allier avec Julius Civilis. Ils étaient menés par trois chefs, Julius Classicus, Julius Tutor et Julius Sabinus ; leur objectif était de mettre sur pieds un prétendu « Empire des Gaules ». Ces hommes cherchèrent à gagner les légions romaines commandées par Vocula (la I Germanica et la XVI Gallica). Celui-ci se replia sur Novaesium et chercha une dernière fois à prévenir la défection de ses deux légions par un discours, dont voici un extrait.
« Ne hoc prodigium toto terrarum orbe uulgetur, uobis satellitibus Ciuilem et Classicum Italiam inuasuros. » Que l’on ne divulgue pas partout sur terre cette infamie : c’est avec vous comme complices que Civilis et Classicus envahiront l’Italie.
374/430 [Hist] IV, 62 Honte de la legio XVI Gallica
Après le massacre des légions de Vetera par les Germains alliés à Civilis et la reddition des légions du Rhin, qui durent prêter serment à l'Empire des Gaules, Tacite décrit ici le sentiment de honte de la légion XVI Gallica, cantonnée à Novaesium et déplacée par les vainqueurs bataves et gaulois vers Trêves, à l'idée d'avoir fait défection à Rome.
Medium omne tempus per uarias curas [Romani milites] egere, ignauissimus quisque caesorum apud Vetera exemplo pauentes, melior pars rubore et infamia : quale illud iter ? quis dux uiae ? Et omnia in arbitrio eorum quos uitae necisque dominos fecissent. […] Et uulgata captarum legionum fama cuncti qui paulo ante Romanorum nomen horrebant, procurrentes ex agris tectisque et undique effusi insolito spectaculo nimium fruebantur . Non tulit ala Picentina gaudium insultantis uulgi , spretisque Sancti promissis aut minis Mogontiacum abeunt. L’intervalle de temps jusqu’à ce jour, les soldats romains le passèrent dans une anxiété aux diverses formes : les plus lâches s’apeuraient du massacre exemplaire qui avait été fait à Vetera ; la meilleure partie rougissait de honte : quelle était cette marche qu’ils faisaient ? Qui guidait leurs pas ? Tout était aux mains de ceux qu’ils avaient rendus maîtres de leur vie et de leur mort. […] Et comme s’était répandu le bruit de la capture des légions, tous ceux qui, un peu avant, étaient effrayés par le nom de Rome accouraient de leur champ ou de leur maison et, se répandant partout, jouissaient par trop d’un spectacle inhabituel. L’aile Picentina ne supporta pas la joie de cette foule qui les insultait et, méprisant les promesses ou les menaces de Sanctus, s’en va à Mayence.
375/430 [Hist] IV, 67 Défaite de Julius Sabinus
Le Lingon Julius Sabinus était l'un des chefs gaulois qui avait conspiré contre les Romains et, s'alliant avec Civilis, avait mis en place l'Empire des Gaules. Il connut par la suite une défaite contre les Séquanes, dont il s'échappa à grand'peine.
Sabinus festinatum temere proelium pari formidine deseruit ; utque famam exitii sui faceret, uillam, in quam perfugerat, cremauit, illic uoluntaria morte interisse creditus . Sabinus abandonna avec autant de crainte un combat qu’il avait imprudemment hâté ; pour faire courir le bruit qu’il était mort, il brûla la ferme dans laquelle il s’était réfugié : on crut qu’il s’était suicidé.
376/430 [Hist] IV, 69 Conférence de Reims
Les Flaviens réagirent à la situation alarmante en Germanie en conduisant plusieurs légions vers le théâtre des opérations. Cette décision conduisit les peuples gaulois à se réunir en conférence à Reims (avril 70 ap. J.-C.). Les dissensions entre peuples rivaux empêchèrent l'embrasement des Gaules en faveur de l'Empire indépendant voulu par les Trévires et les Lingons.
Et Valentini animum [Galli] laudabant, consilium Auspicis sequebantur . […] Deterruit plerosque prouinciarum aemulatio : quod bello caput ? unde ius auspiciumque peteretur ? quam, si cuncta prouenissent, sedem imperio legerent ? Nondum uictoria, iam discordia erat , aliis foedera, quibusdam opes uirisque aut uetustatem originis per iurgia iactantibus. Les Gaulois louaient le courage de Valentinus, mais suivaient l’avis d’Auspex. […] Ce qui détourna la plupart de la guerre, ce fut la rivalité provinciale : qui serait à la tête de la guerre ? Où serait pris le droit d’auspices ? Quelle ville, si tout tournait bien, serait choisie comme capitale de l’empire ? Ce n’était pas la victoire, mais c’était déjà la discorde : ils se querellaient, les uns mettant en avant des traités, certains leurs richesses, leurs forces ou l’ancienneté de leur origine.
377/430 [Hist] IV, 72 Les troupes de Petilius Cerialis demandent la destruction de Trêves
La contre-attaque romaine était conduite par Petilius Cerialis, qui fut rapidement à la tête de cinq légions (quatre déjà sur place, et la XXI Rapax, qu'il commandait). À son entrée à Trêves (Colonia Treuirorum), ville d'origine de Julius Sabinus et de Julius Classicus (deux des instigateurs de la révolte gauloise), il dut faire face à la colère de ses propres soldats, qui voulaient détruire la ville. Ce fut d'ailleurs là que les deux légions qui s'étaient rendues à Vetera (la I Germanica et la XVI Gallica) firent jonction avec l'armée romaine, donnant lieu à un tableau pathétique chez Tacite.
Cerialis postero die coloniam Treuirorum ingressus est, auido milite eruendae ciuitatis. Hanc esse Classici, hanc Tutoris patriam ; horum scelere clausas caesasque legiones. Quid tantum Cremonam meruisse ? Quam e gremio Italiae raptam quia unius noctis moram uictoribus attulerit. Stare in confinio Germaniae integram sedem spoliis exercituum et ducum caedibus ouantem . Redigeretur praeda in fiscum : ipsis sufficere ignis et rebellis coloniae ruinas, quibus tot castrorum excidia pensarentur. Cerialis metu infamiae, si licentia saeuitiaque imbuere militem crederetur, pressit iras : et paruere, posito ciuium bello ad externa modestiores. Conuertit inde animos accitarum e Mediomatricis legionum miserabilis aspectus. Stabant conscientia flagitii maestae, fixis in terram oculis : nulla inter coeuntis exercitus consalutatio ; neque solantibus hortantibus ue responsa dabant, abditi per tentoria et lucem ipsam uitantes . Nec proinde periculum aut metus quam pudor ac dedecus obstupefecerat, attonitis etiam uictoribus, qui uocem preces que adhibere non ausi lacrimis ac silentio ueniam poscebant, donec Cerialis mulceret animos, fato acta dictitans quae militum ducumque discordia uel fraude hostium euenissent. Le jour suivant, Cerialis entra dans la colonie de Trèves, tandis que ses soldats n’avaient à la bouche que la destruction de la ville. Voilà, disaient-ils, la patrie de Classicus, voilà la patrie de Tutor ; voilà les gens dont le crime a été d’assiéger et de massacrer les légions. Qu’avait fait de tel Crémone pour mériter son sort ? Elle, c’était du giron de l’Italie qu’elle avait été arrachée sous prétexte qu’elle avait retardé d’une seule nuit les vainqueurs. Et aux confins de la Germanie, l’on trouvait, intact, ce siège de la guerre, triomphant des dépouilles de l’armée et du meurtre de ses chefs ? Que le butin revienne au fisc ; il leur suffirait, à eux, de mettre le feu à cette colonie rebelle et de la détruire : voilà qui contrebalancerait tant de camps anéantis ! Craignant d’être déshonoré s’il donnait à croire qu’il avait imprégné les soldats d’une cruauté immodérée, Cerialis réprima les colères : et les soldats lui obéirent, eux qui, après la fin de la guerre de civile, se montraient plus mesurés à l’égard des guerres étrangères. Ce qui fit changer la disposition des esprits ensuite, ce fut la déplorable apparence des légions venues de chez les Médiomatrices. Elles étaient là, affligées par la conscience de leur crime, et gardaient le regard baissé vers le sol ; il n’y eut entre les armées qui faisaient jonction nul salut, et l’on ne répondait pas à ceux qui les réconfortaient ou les exhortaient, mais on se cachait dans les tentes, évitant jusqu’à la lumière du jour. C’était moins le danger ou la crainte que la honte et le sentiment de déshonneur qui les avait paralysées, et même les vainqueurs étaient interdits, eux qui n’osaient pas faire appel à des paroles suppliantes et qui demandaient grâce par des larmes silencieuses, jusqu’à ce que Cerialis adoucisse enfin les esprits en disant que c’était le destin qui était responsable d’actes qui avaient eu lieu par l’entremise de la discorde des soldats et des chefs ou par la ruse des ennemis.
378/430 [Hist] IV, 73 Contio de Petilius Cerialis
Après la réunification des légions romaines, Petilius Cerialis rassembla ses troupes et les harangua en contio.
« Neque ego umquam facundiam exercui, et populi Romani uirtutem armis adfirmaui : sed quoniam apud uos uerba plurimum ualent bonaque ac mala non sua natura, sed uocibus seditiosorum aestimantur, statui pauca disserere quae profligato bello utilius sit uobis audisse quam nobis dixisse. » Moi, je n’ai jamais pratiqué l’art oratoire, et c’est par les armes que j’ai consolidé la valeur du peuple Romain ; mais puis que, chez vous, ce sont les mots qui ont le plus de valeur, et que le bien et le mal ne sont pas estimés d’après leur nature propre, mais sous l’influence des voix séditieuses, j’ai décidé de dire quelques mots qu’il vous est plus utile d’écouter, maintenant que la guerre est proche de sa fin, qu’il nous est bénéfique de les dire.
379/430 [Hist] IV, 75 Critiques contre le laisser-faire de Cerialis
Cerialis n'attaqua pas assez rapidement les Bataves et leurs alliés et, de ce fait, les laissa se réunir à proximité de Trêves, ce qui lui fut reproché par des voix anonymes.
Hostes diuisis copiis aduenere undique . Plerique culpabant Cerialem passum iungi quos discretos intercipere licuisset . Les troupes divisées des ennemis arrivèrent de partout. La plupart reprochaient à Cerialis d’avoir permis que se réunissent des soldats qu’il aurait été possible d’intercepter alors qu’ils étaient séparés.
380/430 [Hist] IV, 78 Victoire décisive des Romains à Trêves
Un affrontement décisif eut lieu à proximité de Trêves (peut-être dans la nuit du 7 au 8 juin 70 ap. J.-C.) entre les troupes romaines, dirigées par Petilius Cerialis (il s'agissait surtout des légions du Rhin, déjà éprouvées par une année de guerre, et d'une légion venue de Rome), et la coalition entre Germains et Gaulois. Malgré l'attaque surprise des Bataves et de leurs alliés, les Romains résistèrent et finirent par remporter l'affrontement.
Nec sine ope diuina mutatis repente animis terga uictores uertere. Ipsi territos se cohortium aspectu ferebant , quae primo impetu disiectae summis rursus iugis congregabantur ac speciem noui auxilii fecerant. Sed obstitit uincentibus prauum inter ipsos certamen omisso hoste spolia consectandi. Et ce ne fut pas sans l’aide des dieux que, changeant tout à coup d’état d’esprit, les vainqueurs tournèrent le dos. Eux-mêmes rapportaient qu’ils avaient été terrifiés par l’aspect des cohortes qui avaient été dispersées lors de la première charge mais qui, se regroupant en retour sur les sommets des collines, leur avaient donné l’impression qu’il s’agissait de nouveaux renforts. Mais ce qui s’opposa à leur victoire, ce fut la lutte malsaine qu’ils se livrèrent en oubliant l’ennemi pour obtenir les dépouilles.
381/430 [Hist] IV, 79 Les habitants de Cologne demandent l'aide des Romains
Suite à la victoire romaine, les habitants de Cologne (les Agrippiniens) demandèrent aux Romains de les protéger des Bataves et de leurs alliés, contre qui ils s'étaient ouvertement déclarés.
Orabant auxilium Agrippinenses offerebantque uxorem ac sororem Ciuilis et filiam Classici, relicta sibi pignora societatis. Atque interim dispersos in domibus Germanos trucidauerant ; unde metus et iustae preces inuocantium, antequam hostes reparatis uiribus ad spem uel ad ultionem accingerentur. Les Agrippiniens demandaient de l’aide et ils offraient la sœur et la femme de Civilis ainsi que la fille de Classicus, laissées chez eux comme gages de leur alliance. Et pendant ce temps, ils avaient massacré les Germains dispersés dans leurs maisons ; d’où la crainte et les prières légitimes de ceux qui appelaient à l’aide avant que leur ennemi, ses forces remises en état, ne se porte à l’espoir ou ne se prépare à la vengeance.
382/430 [Hist] V, 9 Rumeurs sur le temple de Jérusalem
Dans l'excursus sur les Juifs qui ouvre le cinquième livre des Histoires, Tacite rapporte les rumeurs qui suivirent la prise de Jérusalem et de son temple par Pompée, en 63 av. J.-C.
Romanorum primus Cn. Pompeius Iudaeos domuit templumque iure uictoriae ingressus est : inde uulgatum nulla intus deum effigie uacuam sedem et inania arcana . Le premier des Romains à dompter les Juifs fut Cn. Pompée ; par le droit des vainqueurs, il entra dans le temple : d’où le bruit qui courut, selon lequel il n’y avait à l’intérieur aucune statue de dieux, que la place était vide, que ce n’étaient que de vains secrets.
383/430 [Hist] V, 11 Les Romains demandent l'assaut sur Jérusalem
Après plusieurs mois de siège, les soldats romains demandent à Titus d'arrêter le siège et de mener l'assaut de Jérusalem.
Romani ad obpugnandum uersi ; neque enim dignum uidebatur famem hostium opperiri, poscebant que pericula, pars uirtute, multi ferocia et cupidine praemiorum.  Les Romains se portaient au combat : de fait, il ne leur semblait pas digne d’attendre que l’ennemi meure de faim, et ils réclamaient le danger, une partie par courage, beaucoup par témérité et par désir du butin.
384/430 [Hist] V, 15 Première nuit de la bataille de Vetera
La victoire romaine à Trêves n'avait pas marqué la fin de la guerre : Julius Civilis monta à nouveau à l'affrontement à proximité de l'ancien camp de Castra Vetera (actuelle Xanten). Il dut cependant faire face à des troupes romaines bien plus nombreuses, puisque Cerialis avait reçu le renfort de trois légions (la II Adiutrix, à peine recrutée, la VI Victrix, venue d'Espagne, et la XIV Gemina Martia, venue de Bretagne), qui s'ajoutaient aux quatre légions du Rhin, bien entamées par plus d'une année de guerre (nous sommes alors à la fin du mois de juin 70). Le premier affrontement entre les deux armées tourna légèrement à l'avantage des Romains, sans être décisif. Tacite décrit ici la nuit entre les deux jours de combat.
Nox apud barbaros cantu aut clamore , nostris per iram et minas acta. Chez les barbares, on passe la nuit en chants et en cris ; pour les nôtres, c’était la colère et les menaces.
385/430 [Hist] V, 16 Deuxième jour de la bataille de Vetera : hortatio de Petilius Cerialis
Au début de la deuxième journée d'affrontement entre Romains et Bataves à Vetera (cf. Tac., Hist., 4.15), les deux chefs exhortèrent leurs troupes. Voici la réaction des légions romaines au discours de Cerialis.
Alacrior omnium clamor, quis uel ex longa pace proelii cupido uel fessis bello pacis amor, praemiaque et quies in posterum sperabatur. Ce fut une clameur assez vive de la part de tous les soldats, soit qu’ils veuillent le combat au sortir d’une longue paix, soit que, fatigués par la guerre, ils désirent la paix, et l’on espérait, pour l’avenir, du butin et du repos.
386/430 [Hist] V, 17 Deuxième jour de la bataille de Vetera (2) : hortatio de Civilis
Le discours de Cerialis à ses troupes est suivi de celui de Civilis aux siennes, en amont de la bataille décisive de Vetera (cf. Tac., Hist., 4.15). Tacite rapporte pareillement les réactions sonores des barbares.
Nec Ciuilis silentem struxit aciem, locum pugnae testem uirtutis ciens. Quant à Civilis, ce n’était pas non plus une armée silencieuse qu’il mettait en ordre ; il appelait le lieu du combat « témoin de leur valeur ».
387/430 [Hist] V, 18 Une ruse permet aux Romains de défaire les Bataves à Vetera
La bataille de Vetera, indécise, bascula lorsqu'un déserteur germain permit à Cerialis d'envelopper son adversaire.
Duae alae cum perfuga missae incauto hosti circumfunduntur. Quod ubi clamore cognitum , legiones a fronte incubuere, pulsique Germani Rhenum fuga petebant. Deux ailes de cavaleries sont envoyées avec le transfuge ; elles encerclent l’ennemi qui ne se doute de rien. Lorsqu’une clameur eut fait connaître cet événement, les légions pressèrent par le front du combat, et les Germains, repoussés, gagnèrent le Rhin en fuyant.
388/430 [Hist] V, 22 Les Germains tendent un piège à Cerialis
Alors qu'il revient par bateau des camps de Novaesium et de Bonn, Petilius Cerialis est attaqué nuitamment par une troupe de Germains, qui profite du désordre et du manque de discipline romains.
Aliud agmen [Germanorum] turbare classem, inicere uincla, trahere puppis ; utque ad fallendum silentio, ita coepta caede, quo plus terroris adderent, cuncta clamoribus miscebant. […] Cerialis alibi noctem egerat, ut plerique credidere , ob stuprum Claudiae Sacratae mulieris Vbiae . Vigiles flagitium suum ducis dedecore excusabant, tamquam iussi silere ne quietem eius turbarent ; ita intermisso signo et uocibus se quoque in somnum lapsos. Une autre troupe de Germains se mit à troubler la flotte, à jeter des cordes sur les navires, à tirer les poupes ; et si l’on avait utilisé le silence pour tromper les soldats, maintenant que le massacre avait commencé, ils mêlaient tout dans leurs clameurs pour augmenter l’effroi. […] Cerialis avait passé la nuit ailleurs ; c’était, comme l’ont cru beaucoup de gens, parce qu’il entretenait une affaire avec Claudia Sacrata, une Ubienne. Les veilleurs excusaient leur faute en déshonorant leur chef : selon eux, on leur avait ordonné de se taire pour ne pas troubler son sommeil : de cette façon, continuaient-ils, comme on avait interrompu les échanges de signaux et les paroles, eux aussi étaient tombés dans le sommeil.
389/430 [Hist] V, 25 Les Bataves se retournent contre Civilis
Le changement de fortune poussa les peuples transrhénans, alliés de Civilis et soutiens de la révolte batave, à se retirer de la lutte contre les Romains, suite à d'habiles négociations de la part de Petilius Cerialis. Le doute s'étendit aux Bataves eux-mêmes, qui s'en prit à leur chef.
Miscebantur minis promissa ; et concussa Transrhenanorum fide inter Batauos quoque sermones orti : non prorogandam ultra ruinam, nec posse ab una natione totius orbis seruitium depelli . Quid profectum caede et incendiis legionum nisi ut plures ualidioresque accirentur ? Si Vespasiano bellum nauauerint, Vespasianum rerum potiri  ; sin populum Romanum armis uocent, quotam partem generis humani Batauos esse ? Respicerent Raetos Noricosque et ceterorum onera sociorum : sibi non tributa, sed uirtutem et uiros indici. Proximum id libertati ; et si dominorum electio sit, honestius principes Romanorum quam Germanorum feminas tolerari . Haec uulgus, proceres atrociora : Ciuilis rabie semet in arma trusos ; illum domesticis malis excidium gentis opposuisse. Tunc infensos Batauis deos, cum obsiderentur legiones, interficerentur legati, bellum uni necessarium, ferale ipsis sumeretur. Ventum ad extrema, ni resipiscere incipiant et noxii capitis poena paenitentiam fateantur. L’on mêlait aux menaces les promesses ; et comme la fidélité des peuples au-delà du Rhin avait été ébranlée, des rumeurs apparurent aussi chez les Bataves : il ne fallait pas continuer à mener ces opérations catastrophiques : l’asservissement du monde tout entier ne pourrait être mis à bas par un seul peuple. Quel avait été l’intérêt de tuer et de brûler les légions, sinon qu’on en avait fait venir d’autres, plus nombreuses et plus fraiches ? Si c’était pour Vespasien qu’ils avaient mené avec zèle cette guerre, Vespasien détenait maintenant le pouvoir ; mais si c’était le peuple romain que leurs armes provoquaient, quelle petite portion du genre humain les Bataves représentaient-ils ? Qu’ils regardent donc les Rhètes, les habitants du Norique et les charges des autres alliés : on ne leur imposait pas des tributs, mais du courage et des guerriers. Voilà qui n’était pas bien loin de la liberté ; et s’ils avaient le choix de leur maîtres, il leur semblait plus honorable de tolérer l’élite de Rome que les femmes des Germains. Voilà ce que disait la foule ; les nobles, eux, étaient plus sévères. C’était la folie de Civilis qui les avait poussés à combattre ; c’est lui qui avait opposé à des maux privés la ruine de leur peuple. Les dieux s’étaient mis à haïr les Bataves au moment où les légions avaient été assiégées, les légats tués, et qu’on avait déclaré une guerre nécessaire à un seul homme mais funeste pour eux-mêmes. Ils étaient arrivés à une situation critique, à moins qu’ils ne commencent à se repentir et que, en punissant une tête criminelle, ils ne manifestent leurs regrets.
390/430 [Agr] II Condamnation des autodafés sous Domitien
Au début de l'Agricola, Tacite blâme et déplore l'exécution de deux sénateurs, membres de l'opposition stoïcienne à Domitien, en 93 ap. J.-C., Herennius Senecio, qui avait écrit un panégyrique d'Helvidius Priscus, et Q. Iunius Arulenus Rusticus, qui avait fait celui de Thrasea Paetus. Leurs œuvres avaient été brûlées sur ordre de Domitien.
Scilicet illo igne [librorum Paeti Thraseae et Prisci Heluidii] uocem populi Romani et libertatem senatus et conscientiam generis humani aboleri arbitrabantur, expulsis insuper sapientiae professoribus atque omni bona arte in exilium acta, ne quid usquam honestum occurreret. C’est sans doute que, par cet autodafé [des œuvres de Thrasea Paetus et de Priscus Helvidius], on estimait museler la voix du peuple romain, la liberté du Sénat et la conscience du genre humain ; on avait, en outre, chassé les professeurs de philosophie et poussé à l’exil toutes les vertus, afin que rien d’honnête ne se fît jour quelque part.
391/430 [Agr] IX L'opinion publique destine la Bretagne à Agricola
Après avoir exercé un commandement militaire en Bretagne, Agricola obtint, de 74 à 77 ap. J.-C., le gouvernement de l'Aquitaine (province sans légion, commandée par un propréteur), puis un consulat suffect en 77. La voix publique supposait alors, à raison, comme Tacite le souligne, qu'il serait ensuite nommé gouverneur de Bretagne.
Minus triennium in ea legatione [Aquitaniae] detentus ac statim ad spem consulatus [Agricola] reuocatus est, comitante opinione Britanniam ei prouinciam dari, nullis in hoc ipsius sermonibus, sed quia par uidebatur. Haud semper errat fama ; aliquando et eligit . Agricola, retenu moins de trois ans dans cette fonction de légat en Aquitaine, fut aussitôt rappelé à Rome avec l’espoir d’être nommé consul ; ce retour s’accompagnait du commentaire qu’il obtiendrait la Bretagne comme province, non que lui fît quelques propos sur ce sujet en particulier, mais parce qu’il semblait à la hauteur. C’est que l’opinion publique n’erre pas toujours : parfois aussi, elle choisit.
392/430 [Agr] XIV Action de Didius Gallus en Bretagne
Faisant la liste des gouverneurs de Bretagne jusqu'à Agricola, Tacite mentionne l'action d'A. Didius Gallus, gouverneur de 52 à 58, qui se montra assez frileux, aux yeux de l'historien.
Mox Didius Gallus parta a prioribus continuit, paucis admodum castellis in ulteriora promotis, per quae fama aucti officii quaereretur. Didius Gallus fit perdurer ensuite ce qu’avaient acquis ses devanciers, en plaçant seulement un petit nombre de places fortes plus loin : par cette manœuvre, il voulait susciter l’opinion qu’il avait augmenté sa charge.
393/430 [Agr] XV Évocation de la révolte des Bretons en 61 ap. J.-C.
L'offensive de Suetonius Paulinus contre l'île de Mona permit aux Bretons, menés par la reine Boudicca, de secouer le joug. Leur révolte commença par une critique violente de l'impérialisme romain.
Namque absentia legati [Suetonii Paulini] remoto metu Britanni agitare inter se mala seruitutis , conferre iniurias et interpretando accendere : nihil profici patientia nisi ut grauiora tamquam ex facili tolerantibus imperentur. Singulos sibi olim reges fuisse, nunc binos imponi, e quibus legatus in sanguinem, procurator in bona saeuiret. Aeque discordiam praepositorum, aeque concordiam subiectis exitiosam . Alterius manus centuriones, alterius seruos uim et contumelias miscere. Nihil iam cupiditati, nihil libidini exceptum. In proelio fortiorem esse qui spoliet : nunc ab ignauis plerumque et imbellibus eripi domos, abstrahi liberos, iniungi dilectus, tamquam mori tantum pro patria nescientibus . Quantulum enim transisse militum, si sese Britanni numerent ? Sic Germanias excussisse iugum : et flumine, non Oceano defendi. Sibi patriam coniuges parentes, illis auaritiam et luxuriam causas belli esse. Recessuros, ut diuus Iulius recessisset, modo uirtutem maiorum suorum aemularentur. Neue proelii unius aut alterius euentu pauescerent : plus impetus felicibus, maiorem constantiam penes miseros esse. Iam Britannorum etiam deos misereri, qui Romanum ducem absentem, qui relegatum in alia insula exercitum detinerent ; iam ipsos, quod difficillimum fuerit, deliberare . Porro in eius modi consiliis periculosius esse deprehendi quam audere. De fait, l’absence du légat Suétonius Paulinus fit s’envoler la crainte des Bretons, qui se mirent à débattre entre eux des maux de la servitude, à mettre en parallèle les marques d’injustice, et, en les expliquant, à les accentuer : la résilience, disaient-ils, ne servait à rien, sinon à laisser s’ordonner des mesures plus pesantes en donnant l’image de durs au mal. Autrefois, les rois qu’ils avaient gouvernaient seuls ; maintenant, c’en était deux qu’on leur imposait : le légat faisait couler le sang, le procurateur s’en prenait aux biens. La discorde de ces chefs vaut bien, pour ceux qui leur sont assujettis, leur concorde. Sa troupe de centurions pour le premier, d’esclaves pour le second mêlent la violence aux insultes. Désormais, rien qui n’échappe à leur convoitise et à leur caprice. Dans le combat, c’est le plus courageux qui fait du butin ; mais maintenant, ce sont la plupart du temps des gens lâches et inaptes à la guerre qui pillent leurs maisons, enlèvent leurs enfants, imposent des levées, eux qui ne semblent pas savoir que l’on ne meurt que pour sa patrie. Quel petit nombre de soldats, en effet, a effectué la traversée, si les Bretons veulent bien se compter ? C’est ainsi que les Germanies ont secoué le joug : et eux, c’était un fleuve, et non l’Océan, qui les défendait. Les Bretons avaient leur patrie, leur épouse, leurs parents pour les pousser à la guerre ; les Romains, leur cupidité et leur goût du luxe. Ils feront retraite, comme le divin Jule avait fait retraite, pourvu que les Bretons prissent exemple sur la valeur de leurs ancêtres. Qu’ils ne s’effraient donc pas de l’issue de tel ou tel combat : si l’impétuosité va avec la fortune, une plus grande constance est la marque des malheureux. Déjà les dieux prennent pitié des Bretons en tenant absent le chef romain et son armée, reléguée sur une autre île ; déjà, eux-mêmes sont en délibération, ce qui était le plus difficile. D’ailleurs, dans les conseils de ce genre, il est plus dangereux d’être pris sur le fait que d’oser.
394/430 [Agr] XVIII Première campagne d'Agricola en Bretagne
En 77 (ou 78 ?) ap. J.-C., Agricola mena sa première campagne et s'attaqua aux Ordoviques, qui avaient décimé un corps de cavalerie auxiliaire.
Caesaque prope uniuersa gente [Ordouicum], [Agricola] non ignarus instandum famae ac, prout prima cessissent, terrorem ceteris fore, Monam insulam, cuius possessione reuocatum Paulinum rebellione totius Britanniae supra memoraui, redigere in potestatem animo intendit. Alors que presque toute la nation des Ordoviques  avait été décimée, Agricola, n’ignorant pas qu’il fallait serrer la rumeur et qu’avec la réussite des premiers mouvements s’inspirerait pour tous les autres la terreur, conçut l’idée de soumettre l’île de Mona, dont j’ai rappelé plus haut qu’elle avait échappé à Paulinus lorsque la révolte de toute la Bretagne l’avait contraint à rentrer.
395/430 [Agr] XXII Attitude intransigeante d'Agricola envers ses hommes
À l'occasion de la troisième année de campagne d'Agricola (79 ou 80 ap. J.-C.), Tacite souligne, par l'intermédiaire d'un jugement anonyme (narrabatur), l'attitude irréprochable d'Agricola avec ses soldats, à la fois intransigeant et généreux.
Apud quosdam acerbior in conuiciis narrabatur ; et ut erat comis bonis, ita aduersus malos iniucundus. On racontait qu’il était assez dur dans ses reproches à l’égard de certains, et il est vrai que s’il se montrait doux avec les bons soldats, face aux mauvais, il se révélait dur.
396/430 [Agr] XXV Offensive d'envergure d'Agricola en Calédonie
La sixième année de campagne d'Agricola (82 ou 83 ap. J.-C.) fut celle d'une grande offensive au nord du Forth, en Calédonie (actuelle Écosse). Pour cela, le gouverneur associa l'infanterie, la cavalerie auxiliaire et la flotte.
Quae [classis] ab Agricola primum adsumpta in partem uirium sequebatur egregia specie, cum simul terra, simul mari bellum impelleretur, ac saepe isdem castris pedes equesque et nauticus miles mixti copiis et laetitia sua quisque facta, suos casus attollerent, ac modo siluarum ac montium profunda, modo tempestatum ac fluctuum aduersa, hinc terra et hostis, hinc uictus Oceanus militari iactantia compararentur . […] Ad manus et arma conuersi Caledoniam incolentes populi magno paratu, maiore fama, uti mos est de ignotis , oppugnare ultro castellum adorti, metum ut prouocantes addiderant. C’était alors la première fois qu’Agricola associait la flotte à la campagne ; elle le suivait comme une partie des forces, et cette vision était de toute beauté : on portait la guerre en même temps sur terre et sur mer, et les fantassins, les cavaliers et les marins, souvent réunis dans le même camp en troupes et en allégresse, vantant chacun leurs exploits et les hasards qu’ils avaient vécus, comparaient – c’était là fanfaronnade militaire – qui la profondeur des bois et la hauteur des monts, qui l’adversité des tempêtes et des flots, leur victoire sur les ennemis de la terre pour les uns, pour les autres, sur l’Océan. […] Les peuples de Calédonie avaient pris les armes avec d’importants préparatifs, grossis, comme de coutume pour des sujets inconnus, par la rumeur, et avaient entrepris d’assaillir les places fortes au-delà de leurs frontières : cette attitude de défi augmenta la peur.
397/430 [Agr] XXVI Agricola stoppe un raid calédonien
Les peuples de Calédonie avaient attaqué de nuit le camp d'une des légions d'Agricola (la IX Hispana). Le gouverneur réussit cependant à contrer ce raid et à disperser les ennemis.
Iamque in ipsis castris pugnabatur, cum Agricola iter hostium ab exploratoribus edoctus et uestigiis insecutus , uelocissimos equitum peditumque adsultare tergis pugnantium iubet , mox ab uniuersis adici clamorem ; et propinqua luce fulsere signa. Ita ancipiti malo territi Britanni ; et nonanis rediit animus, ac securi pro salute de gloria certabant. L’on combattait déjà au sein même du camp, lorsqu’Agricola, qui avait appris de ses espions le parcours des ennemis et qui les avait suivis à la trace, ordonne aux plus rapides éléments de la cavalerie et de l’infanterie de fondre sur l’arrière des combattants, puis à tous les soldats de pousser une clameur ; alors, avec la lumière du crépuscule, les insignes se mirent à briller. Ainsi les Bretons prirent-ils peur de ce double danger ; le courage revint aux soldats de la neuvième : surs de leur salut, ils luttaient pour la gloire.
398/430 [Agr] XXVII Pétulance des légions romaines
Après la victoire contre le raid calédonien (cf. Tac., Agr., 26), les soldats romains demandèrent à Agricola à être menés immédiatement contre les Calédoniens.
Cuius [uictoriae] conscientia ac fama ferox exercitus nihil uirtuti suae inuium et penetrandam Caledoniam inueniendumque tandem Britanniae terminum continuo proeliorum cursu fremebant . Atque illi modo cauti ac sapientes prompti post euentum ac magniloqui erant. Iniquissima haec bellorum condicio est : prospera omnes sibi uindicant, aduersa uni imputantur. La conscience de cette victoire et la rumeur qui courut à son sujet poussèrent cette armée impétueuse à murmurer que rien n’était hors d’atteinte de leur vertu : il fallait entrer en Calédonie et y trouver enfin, par l’enchaînement continu des batailles, le Terme de la Bretagne. Et les prudents et les sages d’hier se révélaient après le dénouement résolus à l’action et fanfarons. Car c’est là le fonctionnement fort injuste des guerres : les succès, tous les revendiquent pour eux ; les défaites, on les impute à un seul homme.
399/430 [Agr] XXVIII Une cohorte d'Usipiens s'échappe
À la fin de sa narration de la sixième année de campagne, Tacite s'autorise une digression sur une cohorte d'Usipiens, qui faisait partie des troupes auxiliaires romaines, et qui déserta. Ils prirent trois navires, sans doute dans le but de retourner en Germanie (sur les rives du Rhin, d'où ils venaient). Sans pilote, cependant, ces déserteurs eurent du mal à s'enfuir.
Occiso centurione ac militibus, qui ad tradendam disciplinam inmixti manipulis exemplum et rectores habebantur , [cohors Vsiporum] tris liburnicas adactis per uim gubernatoribus ascendere ; et uno remigrante, suspectis duobus eoque interfectis, nondum uulgato rumore ut miraculum praeuehebantur . [Cette cohorte d’Usipiens], après avoir tué le centurion et les soldats que l’on avait incorporés à leur manipule pour leur enseigner la discipline et leur servir de modèles et de chefs, embarqua sur trois liburnes dont ils avaient contraint les pilotes par la force. Comme l’un deux revenait et que les deux autres, devenus suspects, avaient été mis à mort, alors que la rumeur n’avait pas encore circulé, ce semblait miracle qu’elles longent la côte.
400/430 [Agr] XXIX Hortatio de Calgacus
Peu avant la bataille du mons Graupius (83 ou 84 ap. J.-C.), lors de laquelle Agricola affronta une coalition de peuples calédoniens, le chef barbare, Calgacus, prit la parole devant ses soldats.
[…] Inter pluris duces uirtute et genere praestans nomine Calgacus apud contractam multitudinem proelium poscentem in hunc modum locutus fertur. […] Au milieu de nombreux chefs, se distinguant par sa valeur et sa race, un homme du nom de Calgacus prit la parole, dit-on, devant la foule rassemblée qui réclamait le combat, et lui tint à peu près ce discours.