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Voix de la Foule chez Tacite

Extemplo Libyae magnas it Fama per urbes, / Fama, malum qua non aliud velocius ullum [...]

(Virgile, Énéide, 4.173-174)

Illustration médiévale de la Fama

Illustration de l'édition Brant de l'Énéide, Strasbourg 1502

Affichage du corpus

En jaune, les termes renvoyant à une vocalisation collective. En vert, le discours indirect rattaché à la foule.

151/430 [Ann] XIII, 8 Marche de Corbulon
Gn. Domitius Corbulo, alors proconsul d'Asie, est chargé de régler le problème posé par l'invasion parthe de l'Arménie. Ce général habile se fonde sur la rumeur (fama) dès le début de son expédition.
Qui [Corbulo] ut instaret famae , quae in nouis coeptis ualidissima est, itinere propere confecto apud Aegeas ciuitatem Ciliciae obuium Quadratum habuit […]. Or Corbulon, pour presser la rumeur qui, au tout début des projets, a une force extraordinaire, hâta sa marche pour rencontrer Quadratus à Égée, ville de Cilicie.
152/430 [Ann] XIII, 9 Différend entre Corbulon et Ummidius Quadratus
Les troubles en Orient (cf. la notice à Tac., Ann., 13.6-7) s'aggravent de la mésentente entre Corbulon et le gouverneur de Syrie C. Ummidius Quadratus, entre qui les légions sont réparties. Néron doit intervenir pour rétablir un semblant de concorde entre les deux chefs.
Nero quo componeret diuersos [Corbulonem ac Vmmidium] sic euulgari iussit : ob res a Quadrato et Corbulone prospere gestas laurum fascibus imperatoriis addi. Néron, pour terminer le différend entre les deux hommes ordonne que soit répandu le message suivant : c’étaient les heureuses actions de Quadratus et de Corbulon qui l’avaient fait ajouter du laurier aux faisceaux de l’empereur.
153/430 [Ann] XIII, 15 Meurtre de Britannicus
Le danger que représentait Britannicus, fils naturel du défunt Claude, aux yeux de Néron, danger aggravé selon Tacite par l'attitude d'Agrippine (cf. Tac., Ann., 13.14) et le comportement de Britannicus lui-même (cf. Tac., Ann., 13.15.2), poussa Néron à commanditer l'empoisonnement de son demi-frère. L'empereur s'adresse donc au tribun prétorien Pollio Julius et à l'empoisonneuse Locuste. Une première tentative, trop timide, ne donne rien, et pousse le prince à menacer ses complices.
Sed Nero lenti sceleris impatiens minitari tribuno, iubere supplicium ueneficae , quod, dum rumorem respiciunt , dum parant defensiones, securitatem morarentur. Mais Néron ne supportait pas la lenteur du crime : il se met à menacer le tribun, à ordonner que l’empoisonneuse effectue son supplice, car, disait-il, tandis qu’ils ont égard à la rumeur, qu’ils préparent leur défense, ils n’ont cure de la sécurité.
154/430 [Ann] XIII, 18 Mesures prises après la mort de Britannicus
Après la mort (selon Tacite, l'assassinat) de Britannicus, Néron récompensa ses proches, dont Burrus et Sénèque, qui ne sont pas nommés ici, mais auxquels il est fait allusion (uiros grauitatem adseuerantes). Cela déclenche des commentaires anonymes.
Exim largitione potissimos amicorum auxit . Nec defuere qui arguerent uiros grauitatem adseuerantis, quod domos, uillas id temporis quasi praedam diuisissent. Alii necessitatem adhibitam credebant a principe sceleris sibi conscio et ueniam sperante, si largitionibus ualidissimum quemque obstrinxisset . Puis, il enrichit par une gratification les plus puissants de ses amis. Il ne manquait pas de gens pour s’en prendre à ses hommes qui faisaient profession de leur décence : ils s’étaient alors partagé, disait-on, maison et villas comme un butin. D’autre croyaient que le prince les y avaient contraints, lui qui était conscient de son crime et qui espérait le pardon en s’attachant par des gratifications les citoyens les plus puissants.
155/430 [Ann] XIII, 36 Défaite de Paccius Orfitus
Au printemps 58 ap. J.-C., à la reprise de la guerre entre Rome et les Parthes à propos de la domination de l'Arménie, Paccius Orfitus, ancien centurion primipile, se lance dans une attaque irréfléchie contre les barbares et est vaincu. Tacite souligne le rôle des clameurs des soldats dans cet événement.
Sed rupto imperio , postquam paucae e proximis castellis turmae aduenerant pugnamque imperitia poscebant , congressus cum hoste [Paccius Orfitus] funditur. Et damno eius exterriti qui subsidium ferre debuerant sua quisque in castra trepida fuga rediere. Quod grauiter Corbulo accepit, increpitum Paccium et praefectos militesque tendere extra uallum iussit ; inque ea contumelia detenti nec nisi precibus uniuersi exercitus exoluti sunt. Rompant l’ordre qui lui avait été donné lorsqu’un petit nombre d’escadrons venus des forts voisins furent venus pour réclamer le combat par inexpérience, Paccius Orfitus combattit l’ennemi et fut vaincu. Les pertes qu’il subit terrifièrent ceux qui auraient dû lui apporter un soutien : chacun rentra dans le camp en une fuite éperdue. Corbulon supporta mal cette nouvelle : il réprimanda Paccius et lui ordonna, à lui, aux préfets et aux soldats, de camper hors du retranchement. Retenus dans cette situation humiliante, ils n’en furent délivrés que grâce aux prières de l’armée dans son intégralité.
156/430 [Ann] XIII, 37 Campagne de Tiridate en Arménie
Tiridate, jeune frère du roi des Parthes Vologèse, a été installé en 54 ap. J.-C. à la tête de l'Arménie contre la volonté de Rome. Comme Corbulon (cf. Tac., Ann., 13.8), sa stratégie repose principalement sur la manipulation des informations et sur les rumeurs (fama).
At Tiridates super proprias clientelas ope Vologesi fratris adiutus, non furtim iam sed palam bello infensare Armeniam, quosque fidos nobis rebatur, depopulari et, si copiae contra ducerentur, eludere hucque et illuc uolitans plura fama quam pugna exterrere. Mais Tiridate, qui recevait l’aide de son frère Vologèse en plus de sa propre clientèle, se met à ravager l’Arménie par une guerre qui n’était plus secrète mais menée au grand jour : les cités qu’il pensait nous rester fidèle, il les dévaste et si l’on lui oppose des troupes, il les esquive ; voletant çà et là, il fait régner la terreur par la rumeur plus que par les combats.
157/430 [Ann] XIII, 48 Sédition à Pouzzoles
En 58 ap. J.-C., une délégation des habitants de Pouzzoles est entendue à Rome. Il s'agit de trouver une solution à l'état de stasis entre le peuple et les notables locaux. Tacite évoque ici les émeutes qui eurent lieu sur place.
Eaque seditio [Puteolanorum] ad saxa et minas ignium progressa ne caedem et arma proliceret, C. Cassius adhibendo remedio delectus. La sédition dans la ville de Pouzzoles en était venue aux jets de pierres et aux menaces d’incendie ; afin qu’elle n’incitât pas à une violence meurtrière, le Sénat choisit C. Cassius pour trouver une solution.
158/430 [Ann] XIII, 50 Mesures fiscales de Néron
En 58 ap. J.-C., Néron hésita à supprimer certaines taxes, sous la pression populaire. Le sénat s'y opposa et la mesure ne passa pas.
Eodem anno crebris populi flagitationibus immodestiam publicanorum arguentis dubitatuit Nero an cuncta uectigalia omitti iuberet idque pulcherrimum donum generi mortalium daret. Cette même année, comme le peuple faisait entendre de fréquentes réclamations accusant l’immodération des publicains, Néron hésita à ordonner la suppression de l’intégralité des taxes publiques et à faire ce don magnifique au genre humain.
159/430 [Ann] XIII, 54 Révoltes des Frisons
En 58 ap. J.-C., les Frisons commencèrent à se révolter, du fait, selon Tacite, de l'inaction des légions du Rhin et des rumeurs qu'elle provoqua.
Ceterum continuo exercituum [Germaniarum] otio fama incessit ereptum ius legatis ducendi in hostem. Au reste, l’inaction continue des armées de Germanie fit se répandre le bruit que l’on avait ôté aux légats le droit d’attaquer l’ennemi.
160/430 [Ann] XIII, 55 Prières des Ampsivariens
Tout comme les Frisons (cf. Tac., Ann., 13.54), les Ampsivariens (peuple germain de la vallée de l'Ems) cherchèrent à traverser le Rhin pour s'installer dans un lieu plus sûr et plus prospère. Tacite rapporte ici leurs motivations.
Eosdem agros Ampsiuarii occupauere, ualidior gens [quam Frisii] non modo sua copia, sed adiacentium populorum miseratione, quia pulsi a Chaucis et sedis inopes tutum exilium orabant . Ces mêmes terres, les Ampsivariens les occupèrent ; c’était une nation plus puissante que les Frisons, non seulement par leurs propres troupes, mais aussi grâce à la pitié qu’ils suscitaient chez les peuples voisins : de fait, ils avaient été chassés par les Chauques et, dépourvus d’un territoire, ils imploraient que leur exil fût sûr.
161/430 [Ann] XIII, 57 Guerre entre les Hermundures et les Chattes
Tacite rapporte ici une guerre entre deux peuples germains, les Hermundures et les Chattes, qui eut lieu en 58 ap. J.-C. Le casus belli donne lieu à un exposé, médié au discours indirect, sur les différends religieux et géopolitiques (pour ainsi dire) entre les deux nations.
Eadem aestate inter Hermunduros Chattosque certatum magno proelio, dum flumen gignendo sale fecundum et conterminum ui trahunt, super libidinem cuncta armis agendi religione insita, eos maxime locos propinquare caelo precesque mortalium a deis nusquam propius audiri. Inde indulgentia numinum illo in amne illisque siluis salem prouenire, non ut alias apud gentes eluuie maris arescente, sed unda super ardentem arborum struem fusa ex contrariis inter se elementis, igne atque aquis, concretum . Le même été, il y eu une guerre de grande importance entre les Hermundures et les Chattes : ils cherchaient à accaparer de force le fleuve qui coulait entre eux et qui produisait du sel en abondance. Au-delà de leur désir de tout régler par les armes, c’était leur religion naturelle qui les y poussait : ces endroits, disaient-ils, étaient entre tous proches du ciel et les prières des hommes y étaient entendues par les dieux plus que partout ailleurs. D’où que, selon eux, grâce à la bienveillance des puissances, la production de sel, dans ce fleuve-là et dans ces forêts-là, ne résultait pas, comme chez les autres nations, de l’assèchement des eaux de la mer, mais de la concrétion : celle-ci se réalisait en répandant de l’eau sur un amas brûlant de bois, par la rencontre d’éléments contraires, le feu et le liquide.
162/430 [Ann] XIII, 57 Conséquence de la guerre entre les Hermundures et les Chattes
[contexte indisponible(s)]
Et minae quidem hostiles in ipsos uertebant. Quant à ces menaces des ennemis, elles se tournaient, du moins, contre eux-mêmes.
163/430 [Ann] XIV, 2 Inceste entre Néron et Agrippine
Se sentant menacée par l'influence croissante de Poppée auprès de son fils Néron, Agrippine en vient à séduire son propre fils pour conserver sa puissance. Mais l'historien rapporte des traditions divergentes à ce propos.
Tradit Cluuius ardore retinendae Agrippinam potentiae eo usque prouectam, ut medio diei, cum id temporis Nero per uinum et epulas incalesceret, offerret se saepius temulento comptam in incesto paratam ; iamque lasciua oscula et praenuntias flagitii blanditias adnotantibus proximis, Senecam contra muliebris inlecebras subsidium a femina petiuisse, immissamque Acten libertam, quae simul suo periculo et infamia Neronis anxia deferret peruulgatum esse incestum gloriante matre, nec toleraturos milites profani principis imperium. Fabius Rusticus non Agrippinae sed Neroni cupitum id memorat eiusdemque libertae astu disiectum. Sed quae Cluuius, eadem ceteri quoque auctores prodidere, et fama huc inclinat, seu concepit animo tantum immanitatis Agrippina, seu credibilior nouae libidinis meditatio in ea uisa est, quae puellaribus annis stuprum cum  Lepido spe dominationis admiserat, pari cupidine usque ad libita Pallantis prouoluta et exercita ad omne flagitium patrui nuptiis. Cluvius rapporte que, dans son désir de garder le pouvoir, Agrippine alla jusqu’à attendre le milieu de la journée, moment où le vin et le repas poussaient Néron à la passion, pour s’offrir assez souvent à son ivresse, tout ornée et prête à l’inceste ; déjà, ce sont baisers lascifs et caresses préliminaires au scandale, et ceux qui étaient à proximité le remarquaient ; mais Sénèque, selon cet auteur, s’opposa à ces appas féminins en ayant recours à une femme : il envoya l’affranchie Acté qui, apeurée par le danger qu’elle courait elle-même et par l’infamie qui menaçait Néron, lui rapporta  que la rumeur de l’inceste s’était répandue car, disait-elle, sa mère s’en vantait, et que les soldats ne tolèreraient pas qu’un prince impie eût le commandement. Fabius Rusticus raconte, lui, que ce ne fut pas Agrippine mais Néron qui conçut ce désir, et qu’il fut prévenu par la ruse de la même affranchie. Mais ce qu’avance Cluvius, d’autres garants l’avancent aussi, et le bruit public va dans ce sens, soit qu’Agrippine ait réellement fait ce projet si monstreux, soit qu’il ait paru assez crédible qu’elle réfléchisse à des plaisirs inouïs, elle qui, alors jeune fille, avait commis l’adultère avec Lepius dans l’espoir du pouvoir, qui, à cause d’un désir semblable, était allée jusqu’à s’abaisser aux caprices de Pallas, et qui s’était préparée à tous les scandales en épousant son oncle.
164/430 [Ann] XIV, 4 Manœuvres de Néron pour tromper Agrippine
Néron, qui a décidé d'éliminer sa mère, l'attire à Baïes en faisant courir la rumeur d'une réconciliation avec Agrippine, en disgrâce depuis plusieurs années.
Illuc [Baias] matrem [Nero] elicit, ferendas parentium iracundias et placandum animum dicitans, quo rumorem reconciliationis efficeret acciperetque Agrippina facili feminarum credulitate ad gaudia. Néron attire sa mère à Baïes en ne cessant de dire qu’il faut supporter les colères des parents, et qu’il doit apaiser son esprit, cela afin de créer la rumeur de leur réconciliation et de la faire accepter à Agrippine qui, comme toutes les femmes, avait plus de facilité à croire quand il s’agit de nouvelles joyeuses.
165/430 [Ann] XIV, 8 Mouvement de foule à la nouvelle du naufrage d'Agrippine
Selon Tacite, Agrippine dut faire face au sabotage de son navire, ordonné par Néron, et survécut à cette tentative en nageant jusqu'au rivage, puis en se faisant porter à sa villa de Baules. La rumeur de l'événement attire une foule de soutiens à proximité.
Interim uulgato Agrippinae periculo, quasi casu euenisset, ut quisque acceperat , decurrere ad litus. Hi molium obiectus, hi proximas scaphas scandere ; alii, quantum corpus sinebat, uadere in mare ; quidam manus protendere . Questibus, uotis, clamore diuersa rogitantium aut incerta respondentium omnis ora compleri ; adfluere ingens multitudo cum luminibus, atque ubi incolumem esse pernotuit , ut ad gratandum sese expedire, donec adspectu armati et minitantis agminis deiecti sunt . […] Cubiculo [Agrippinae] modicum lumen inerat et ancillarum una, magis ac magis anxia Agrippina, quod nemo a filio ac ne Agermus quidem : aliam fore laetae rei faciem ; nunc solitudinem ac repentinos strepitus et extremi mali indicia. Pendant ce temps, le bruit du danger couru par Agrippine s’était répandu : on croyait que cela était dû au hasard. À mesure que chacun apprend la nouvelle, on court au rivage. Les uns montent sur les barrières que constituaient les digues, les autres sur les barques les plus proches, d’autres s’avancent dans la mer autant qu’ils le peuvent physiquement ; certains tendent leurs mains. Plaintes, vœux, clameurs des interrogations diverses et des réponses incertaines remplissent toute la côte ; une foule immense afflue avec des lumières, et lorsque le bruit se fut répandue qu’elle était saine et sauve, ils se préparaient comme aux félicitations, jusqu’à ce que la vue d’une colonne armée et menaçante les disperse. Dans la chambre, il n’y avait qu’une faible lumière et une seule de ses servantes ; Agrippine était de plus en plus inquiète, car personne ne venait de la part de son fils, et Agermus n’était pas non plus de retour. Si l’affaire était heureuse, se disait-elle, les choses auraient une autre apparence ; c’était à présent le désert, le vacarme soudain et les signes du dernier malheur.
166/430 [Ann] XIV, 10 Soutien des centurions et tribuns à Néron
Après le meurtre d'Agrippine, Néron mesure la gravité de sa décision. Il est soutenu par les dirigeants des cohortes, à l'instigation de Burrus.
Atque eum [Neronem] auctore Burro prima centurionum tribunorumque adulatio ad spem firmauit , prensantium manum gratantium que quod discrimen improuisum et matris facinus euasisset. Or, Néron fut d’abord raffermi par l’adulation des centurions et des tribuns qui le ramenèrent à l’espoir : ils cherchaient à lui prendre la main, le félicitaient de ce qu’il avait échappé à un danger imprévu, le crime d’une mère.
167/430 [Ann] XIV, 11 L'opinion publique condamne Sénèque
L'assassinat d'Agrippine suscite des rumeurs négatives (elle était très populaire) qui, curieusement, s'en prennent davantage à Sénèque qu'à Néron.
Ergo non iam Nero, cuius immanitas omnium questus antibat , sed Seneca aduerso rumore erat quod oratione tali confessionem scripsisset. Aussi, ce n’était plus Néron, dont la férocité dépassait les plaintes de tous, mais bien Sénèque qui subissait l’opposition de la rumeur : dans un tel discours, disait-on, c’était des aveux qu’il avait rédigé.
168/430 [Ann] XIV, 13 Néron encouragé à rentrer à Rome par sa cour
Après l'assassinat d'Agrippine, Néron hésite à rentrer à Rome (il était alors en Campanie), sa crainte portant principalement sur sa popularité et son acception au sein des différentes couches de la population romaine. Ce furent ses amis (membres de sa cour, aula), qui l'y exhortèrent.
Contra deterrimus quisque, quorum non alia regia fecundior extitit, inuisum Agrippinae nomen et morte eius accensum populi fauorem disserunt : iret [Nero] intrepidus et uenerationem sui coram experiretur ; simul praegredi exposcunt. À l’inverse, tous les pires éléments – la cour en était riche comme jamais aucune autre – dissertaient ainsi : le nom d’Agrippine était haï, sa mort avait enflammé la faveur populaire ; il fallait que Néron s’y rende sans peur pour jouir en public de cette vénération à son égard. Dans le même temps, néanmoins, ils demandent à le précéder.
169/430 [Ann] XIV, 14 Néron se produit dans le cirque du Vatican
Après l'assassinat d'Agrippine, Néron, rassuré par le soutien qu'il avait trouvé dans la population romaine, décida de monter sur scène et utilisa pour cela le cirque créé par Caligula dans les jardins impériaux. Tacite met l'accent sur les marques de soutien de la foule envers le prince à cette occasion.
Clausumque ualle Vaticana spatium in quo equos [Nero] regeret haud promisco spectaculo ; mox ultro uocari populus Romanus laudibus que extollere , ut est uulgus cupiens uoluptatum et, si eodem princeps trahat , laetum. Ceterum euulgatus pudor non statietatem, ut rebantur, sed incitamentum attulit. Un espace fut fermé dans la vallée du Vatican pour que Néron pût diriger ses chevaux sans que ce ne fût un spectacle au public mêlé ; ensuite, allant plus loin, le peuple romain est appelé et l’exalte par les vivats – car la foule désire les plaisirs et se réjouit si le prince va dans le même sens qu’elle. Au reste, avoir livré au public ce déshonneur ne rassasia pas Néron, comme on le pensait, mais le stimula. 
170/430 [Ann] XIV, 15 Rôle des Augustians
Néron met en place une claque, composée d'Augustiani, pour le soutenir lors des spectacles.
Ii [Augustiani ] dies ac noctes plausibus personare, formam principis uocemque deum uocabulis appellantes ; quasi per uirtutem clari honoratique agere. Ces Augustians passaient leurs journées et leurs nuits à faire résonner les applaudissements, à donner à la beauté et à la voix du prince des noms divins ; comme s’ils agissaient avec vertus, ils devaient célèbres et recevaient les honneurs.
171/430 [Ann] XIV, 17 Émeute entre habitants de Nucérie et de Pompéi
En 59 ap. J.-C., les habitants de Nucérie et de Pompéi furent au centre d'une émeute grave à la suite d'un spectacle de gladiateurs donné à Pompéi.
Sub idem tempus leui initio atrox caedes orta inter colonos Nucerinos Pompeianosque gladiatorio spectaculo quod Liuineius Regulus, quem motum senatu rettuli, edebat. Quippe oppidana lasciuia in uicem incessentes probra , dein saxa, postremo ferrum sumpsere, ualidiore Pompeianorum plebe , apud quos spectaculum edebatur. Vers la même époque, un commencement minime mena à un affreux massacre entre les colons de Nucérie et de Pompéi ; ce fut pendant un spectacle de gladiateurs que donnait Livineius Regulus, dont j’ai rappelé l’éviction du Sénat. De fait, sous le coup de la licence propre à la province, ils s’invectivaient : ils commencèrent par les insultes, continuèrent avec des pierres, et finirent par en venir aux armes – la victoire revenant à la plèbe de Pompéi, où était donné le spectacle.
172/430 [Ann] XIV, 20-21 Rumeurs sur les jeux quinquennaux
Néron mit en place en 60 ap. J.-C. les Neronia, jeux quinquennaux (également appelés Quinquennalia) à la grecque. L'opinion publique à Rome se divisa en deux courants, selon Tacite, qui présente sous une forme très rhétorique et particulièrement développée ces rumeurs contraires.
Nerone quartum Cornelio Cosso consulibus, quinquennale ludicrum Romae institutum est ad morum Graeci certaminis, uaria fama , ut cunta ferme noua. Quippe erant qui ferrent Cn. quoque Pompeium incusatum a senioribus, quod mansuram theatri sedem posuisset. Nam antea subitariis gradibus et scaena in tempus structa ludos edi solitos, uel si uetustiora repetas, stantem populum spectauisse, ne, si consideret theatro, dies totos ignauia continuaret. Spectaculorum quidem antiquitas seruaretur, quotiens praetor sederet, nulla cuiquam ciuium necessitate certandi. Ceterum abolitos paulatim patrios mores funditus euerti per accitam lasciuiam, ut, quod usquam corrumpi et corrumpere queat, in urbe uisatur, degeneretque studiis externis iuuentus, gymnasia et otia et turpes amores exercendo, principe et senatu auctoribus , qui non modo licentiam uitiis permiserint, sed uim adhibeant [ut] proceres Romani specie orationum et carminum scaena polluantur. Quid superesse, nisi ut corpora quoque nudent et caestus adsumant easque pugnas pro militia et armis meditentur ? An iustitiam auctum iri et decurias equitum egregium iudicandi munus expleturos, si fractos sonos et dulcedinem uocum perite audissent ? Noctes quoque dedecori adiectas, ne quod tempus pudori relinquatur, sed coetu promisco , quod perditissimus quisque per diem concupiuerit, per tenebras audeat. (21) Pluribus ipsa licentia placebat, ac tamen honesta nomina praetendebant . Maiores quoque non abhorruisse spectaculorum oblectamentis pro fortuna quae tum erat, eoque a Tuscis accitos histriones, a Thuriis equorum certamina ; et possessa Achaia Asiaque ludos curatius editos, nec quemquam Romae honesto loco ortum ad theatrales artes degenerauisse , ducentis iam annis a L. Mummi triumpho, qui primus id genus spectaculi in urbe praebuerit. Sed et consultum parsimoniae , quod perpetua sedes theatro locata sit potius quam immenso sumptu singulos per annos consurgeret ac destrueretur. Nec perinde magistratus rem familiarem exhausturos aut populo efflagitandi Graeca certamina [a] magistratibus causam fore, cum eo sumptu res publica fungatur. Oratorum ac uatum uictorias incitamentum ingeniis adlaturas ; nec cuiquam iudici graue aures studiis honestis et uoluptatibus concessis impertire. Laetitiae magis quam lasciuiae dari paucas totius quinquennii noctes, quibus tanta luce ignium nihil inlicitum occultari queat. Sous le consulat de Néron, pour la quatrième fois, et de Cornelius Cossus, les jeux quinquennaux furent institués à Rome à la manière des compétitions grecques ; ce fut une rumeur diverse qui l’accueillit, comme presque tout ce qui est nouveau. De fait, il y en avait pour rapporter que Cn. Pompée aussi avait été accusé par les anciens pour avoir donné un site pérenne au théâtre. En effet, continuaient-ils, auparavant, c’était sur des gradins construits à l’improviste, sur une scène construite pour l’occasion que l’on donnait les jeux, ou alors, pour prendre des exemples plus anciens, le peuple assistait debout au spectacle afin d’éviter, en lui permettant de s’asseoir dans un théâtre, qu’il ne passât toutes ses journées dans l’inaction. Du moins, il fallait que l’on conservât les anciens usages des spectacles, quand c’était le préteur qui les présidait, sans qu’aucun citoyen ne fût forcé à y participer. D’ailleurs, les mœurs des anciens, peu à peu supprimées, seraient complètement détruites par des débauches venues d’ailleurs : de cette façon, les éléments qui, partout, pouvaient être corrompus ou corrompre eux-mêmes, on les verrait à Rome, et la jeunesse s’abâtardirait par l’étude de disciplines étrangères, en s’exerçant au gymnase, aux activités oiseuses, à des amours honteuses, sous l’autorité du Prince et du Sénat – eux ne se contentaient pas d’autoriser par leurs vices la licence, ils forçaient l’élite de Rome à se souiller sur la scène, sous l’apparence de la rhétorique et de la poésie. Que restait-il, sinon de mettre à nu aussi leur corps, de prendre le ceste et de se préparer au pugilat plutôt qu’au service militaire et aux armes ? Ou bien la justice sortirait-elle grandie, les décuries de chevaliers rempliraient-elles leur excellente charge de juges en entendant avec art les sons lascifs et la douceur de ces voix ? Et on rajoutait aussi les nuits à l’opprobre afin de ne laisser aucun moment à la retenue : dans ces assemblées mêlées, que les personnes les plus dépravées osent au cœur des ténèbres ce dont ils ont conçu le désir en plein jour ! (21) Un plus grand nombre approuvait cette licence pour elle-même ; néanmoins, ils lui donnaient, en guise de prétexte, des noms acceptables. Nos ancêtres, eux-aussi, à les entendre, n’avaient pas rejeté avec horreur les divertissements apportés par des spectacles à la mesure de la fortune de leur époque : pour cette raison, on était allé chercher les histrions en Étrurie, les compétitions équestres de Thourioi ; une fois maîtres de l’Achaïe et de l’Asie, ils donnèrent des jeux avec plus de soin, et personne à Rome qui fût né dans une bonne famille ne s’était abâtardi dans la discipline théâtrale. Il y avait eu deux cent ans depuis le triomphe de L. Mummus qui fut le premier à donner ce genre de spectacle dans la ville. Mais l’on avait aussi réfléchi à l’épargne : de fait, on avait préféré donner un site permanent au théâtre que d’attribuer une immense somme chaque année à sa construction et à sa destruction. Voilà ce qui changerait : les magistrats n’épuiseraient plus leur patrimoine familial, et le peuple n’aurait plus de raison de réclamer aux magistrats des compétitions à la grecque, puisque cette dépense, c’est l’État qui s’en acquitterait. Les victoires des orateurs et des poètes stimuleraient les esprits, et l’on ne trouverait pas fâcheux qu’un juge accorde son attention à des disciplines et des plaisirs honorables. C’est à la joie bien plus qu’à la débauche que ces quelques nuits en cinq ans seraient consacrées, où la multiplication des lumières rendrait impossible de cacher quoi que ce soit de répréhensible.
173/430 [Ann] XIV, 22 Prétentions de Rubellius Plautus à l'Empire
Peu après les Neronia, le passage d'une comète donna lieu à une rumeur attaquant la légitimité de Néron indirectement. Cette contestation « à bas bruit » pris la forme de l'éloge d'un capax imperii, Rubellius Plautus (descendant de Tibère).
Inter quae sidus cometes effulsit, de quo uulgi opinio est, tamquam mutationem regis portendat. Igitur, quasi iam depulso Nerone , quisnam deligeretur anquirebant. Et omnium ore Rubellius Plautus celebrabatur, cui nobilitas per matrem ex Iulia familia . Ipse placita maiorum colebat , habitu seuero, casta et secreta domo, quantoque metu occultior, tanto plus famae adeptus. Auxit rumorem pari uanitate orta interpretatio fulguris. Nam quia discumbentis Neronis apud Simbruina stagna in uilla, cui Sublaqueum nomen est, ictae dapes mensaque disiecta erat, idque finibus Tiburtum acciderat, unde paterna Plauto origo, hunc illum numine deum destinari credebant, fouebant que multi, quibus noua et ancipitia praecolere auida et plerumque fallax ambitio est. Ergo permotus his Nero componit ad Plautum litteras, consuleret quieti urbis seque praua diffamantibus subtraheret […]. Sur ces entrefaites, une comète se mit à briller : ce phénomène annonce, selon l’opinion de la foule, un changement de règne. Par conséquent, comme si Néron était déjà chassé, l’on recherchait la personne qui serait choisie. Et toutes les bouches répandent le nom de Rubellius Plautus, dont la noblesse remontait par sa mère à la famille Julia. Lui-même suivait les préceptes des anciens : son train était austère, sa maison chaste et privée, et plus il se cachait par crainte, plus sa renommée devenait importante. Ce qui grandit la rumeur, ce fut, avec la même vanité, l’interprétation causée par un orage. En effet, alors que Néron prenait place à table à côté des lacs Simbruins dans sa villa appelée Sublaqueum, les plats furent frappés par la foudre et la table brisée ; et comme cela était arrivé sur le pays de Tibur d’où Plautus tirait son origine par son père, on crut qu’il était destiné à l’empire par la volonté divine. Et beaucoup l’y encourageaient parmi ceux dont l’ambition, cupide et souvent trompeuse, est d’encourager par avance les situations révolutionnaires et instables. C’est pourquoi Néron, touché par ces bruits, écrit à Plautus une lettre où il lui ordonne de veiller au calme à Rome et de quitter des gens qui répandaient des propos mauvais.
174/430 [Ann] XIV, 29 Rumeur favorable sur Suetonius Paulinus
C. Suetonius Paulinus, grand général romain qui s'était déjà illustré en Afrique, fut gouverneur de la Bretagne de 59 à 61, où il mena plusieurs campagnes de pacification de l'île, récemment conquise. Tacite décrit ici sa popularité, et illustre les logiques de fonctionnement de l'opinion publique.
Sed tum Paulinus Suetonius obtinebat Britannos, scientia militiae et rumore populi qui neminem sine aemulo sinit, Corbulonis concertator , receptaeque Armeniae decus aequare domitis perduellibus cupiens . À cette époque, c’était Suetonius Paulinus qui tenait la Bretagne : sa science militaire ainsi que la rumeur populaire, qui ne laisse personne sans concurrent, en faisaient le rival de Corbulon, et il désirait égaler l’honneur qu’avait constitué la reconquête de l’Arménie en dominant l’ennemi.
175/430 [Ann] XIV, 30 Massacre des druides sur l'île de Mona
L'un des hauts faits de Suetonius Paulinus fut de réprimer la menace que représentaient les druides. Cet objectif fut rempli par l'attaque de l'île de Mona (aujourd'hui Anglesey), où ces derniers étaient rassemblés. La topique barbare prend, comme souvent dans l'Antiquité et chez Tacite, la forme d'un chaos sonore.
Stabat pro litore diuersa acies, densa armis uirisque, intercursantibus feminis ; in modum Furiarum, ueste ferali, crinibus deiectis faces praeferebant ; Druidae que circum, preces diras sublatis ad caelum manibus fundentes, nouitate aspectus perculere militem ut quasi haerentibus membris immobile corpus uulneribus praeberent. Dein cohortationibus ducis et se ipsi stimulantes ne muliebre et fanaticum agmen pauescerent, inferunt signa sternuntque obuios et igni suo inuoluunt. Sur le rivage opposé se tenait une armée aux rangs serrés et aux armes nombreuses, parcourue par des femmes ; à la manière des Furies – habits de deuil, cheveux détachés – elles remontaient des flambeaux ; des deux côtés, les Druides répandaient de sinistres prières, les mains au ciel, et l’étrangeté de cette vue frappa le soldat qui, les bras comme entravés, n’opposait qu’un corps immobile aux coups. Puis, grâce aux harangues du général, ils en viennent eux-mêmes à s’aiguillonner et à s’exhorter à ne pas prendre peur d’un escadron de femmes et de têtes fanatisées : ils chargent, terrassent leurs opposants et les enveloppent de leurs flammes.
176/430 [Ann] XIV, 32 Cause de la révolte des Icéniens
Les troubles en Bretagne se concrétisèrent en 61 ap. J.-C. dans la révolte des Icéniens, menée par la reine Boudicca (ou Boadicée). Tacite décrit ici les discours prophétiques que certaines femmes (proches des druides ?) firent courir à la suite de certains signes favorables aperçus sur l'île.
Et feminae in furorem turbatae adesse exitium canebant externosque fremitus in curia eorum [Camulodunorum] auditos ; consonuisse ululatibus theatrum uisamque speciem in aesturio Tamesae subuersae coloniae. Quant aux femmes, un délire prophétique les agitaient et les faisaient vaticiner : c’était la fin ! Des bruits étrangers avaient été entendus dans la curie de Camulodunum ! Le théâtre avait retenti de hurlements, et l’on avait vu dans l’estuaire de la Tamise l’image du renversement de la colonie.
177/430 [Ann] XIV, 33 Suetonius Paulinus abandonne Londres
La révolte des Icéniens menée par Boudicca infligea dans un premier temps une série de lourdes défaites aux Romains (en particulier à Camulodunum, colonie sise dans le sud-est de l'île, qui fut prise par les rebelles). Les Bretons se dirigèrent ensuite vers Londres (Londinium), que Suetonius Paulinus jugea inapte à être défendue. Le général romain sut rester ferme face aux habitants qui l'imploraient de défendre la cité.
Neque [Suetonius] fletu et lacrimis auxilium eius orantium flexus est quin daret profectionis signum et comitantis in partem agminis acciperet . Ni les gémissements ni les larmes de ceux qui imploraient son aide ne le détournèrent de donner le signal du départ et d’accepter qu’on l’accompagnât en intégrant une partie de l’armée.
178/430 [Ann] XIV, 35 Harangue de Boudicca
Boudicca, reine icène menant la révolte de son peuple contre les Romains (cf. Tac., Ann., 14.31 et suiv.), livra un discours d'exhortation à ses troupes à la veille de la bataille finale (le lieu n'est pas identifié avec certitude), gagnée par les Romains. Ce discours, restitué en discours indirect, fait écho aux violences subies par la reine (sous formes de coups) et ses filles (violées, selon Tac., Ann., 14.31).
Boudicca curru filias prae se uehens, ut quamque nationem accesserat , solitum quidem Britannis feminarum ductu bellare testabatur, sed tunc non ut tantis maioribus ortam regnum et opes , uerum ut unam e uolgo libertatem amissam, confectum uerberibus corpus , contrectatam filiarum pudicitiam ulcisci. […] Ne strepitum quidem et clamorem tot milium , nedum impetus et manus perlaturos [Romanos] ; si copias armatorum, si causas belli secum expenderent, uincendum illa acie uel cadendum esse. Boudicca, avançant sur un char, ses filles devant elles, une fois toutes les nations dépassées, attestait que c’était bien l’habitude des Bretons que d’être menés à la guerre par des femmes ; mais alors, ce n’était pas en descendante de si illustres ancêtres qu’elle vengeait la perte de son royaume et de ses richesses, mais bien  en femme de la foule qu’elle cherchait réparation pour la perte de sa liberté, pour son corps meurtri par les verges, pour chasteté volée à ses filles. […] Les Romains, eux, continuait-elle, ne supportaient pas le bruit et la clameur de tant de milliers d’hommes : à plus forte raison leur charge et leurs armes ! Si l’on songeait au nombre des soldats, aux causes de la guerre, il fallait vaincre ou succomber dans cette bataille.
179/430 [Ann] XIV, 36 Harangue de Suetonius Paulinus
Répondant à l'exhortation de Boudicca selon un modèle rhétorique et historiographique bien connu (cf. Tac., Ann., 14.35), Suetonius Paulinus exhorte lui aussi ses troupes au moment de la bataille finale.
Ne Suetonius quidem in tanto discrimine silebat : quamquam confideret uirtuti , tamen exhortationes et preces miscebat ut spernerent sonores barbarorum et inanis minas  ; plus illic feminarum quam iuuentutis aspici. Suetonius non se taisait pas non plus dans un moment si critique ; bien que confiant dans leur valeur, il mêlait la harangue à la prière : qu’ils dédaignassent donc les bruits faits par les barbares et leurs vaines menaces ! Ce qu’ils voyaient devant eux, c’était plus des femmes qu’une jeunesse en armes.
180/430 [Ann] XIV, 39 Moqueries des Bretons à l'égard de Polyclitus
Face aux tensions entre le gouverneur de la Bretagne, vainqueur des Icéniens, Suetonius Paulinus, et le nouveau procurateur Julius Classicianus, Néron envoya son affranchi Polyclitus pour régler le conflit. Cela suscita chez les Bretons (mais l'on sent ici une antienne toute tacitéenne) des moqueries (inrisus) à l'égard de cet ancien esclave plus puissant que l'élite sénatoriale romaine.
Sed hostibus [sc. Britannis] inrisui [Poyclitus] fuit, apud quos flagrante etiam tum libertate nondum cognita libertinorum potentia erat ; mirabanturque , quod dux et exercitus tanti belli confector seruitiis oboedirent. Mais chez les Bretons, Polyclitus suscita des moqueries : ils avaient encore à cette époque la passion de la liberté, et ne connaissaient pas alors la puissance des affranchis ; ils s’étonnaient de ce qu’un chef et des soldats qui avaient mis fin à tant de guerres obéissent à des esclaves.
181/430 [Ann] XIV, 45 Débats concernant la mise à mort de la familia de Pedanius Secundus
En 61 ap. J.-C., le préfet de la ville, L. Pedanius Secundus, fut assassiné par un de ses esclaves. La loi prévoyait dans ce cas de mettre à mort toute la domesticité (familia) de la victime. Il y eut un débat à ce sujet au sénat ; l'avis de C. Cassius Longinus, en faveur de l'exécution, fut combattu par plusieurs sénateurs de manière collective (et, dans le texte de Tacite, anonyme), et par la plèbe à l'extérieur de la curie.
Sententiae Cassii ut nemo unus contra ire ausus est, ita dissonae uoces respondebant numerum aut aetatem aut sexum ac plurimorum indubiam innocentiam miserantium . Si personne n’osa prendre position individuellement contre l’avis de Cassius, des voix différentes s’élevèrent en réponse : on déplorait l’âge, le sexe et l’indubitable innocence de la plupart de ces personnes.
182/430 [Ann] XIV, 51 Mort de Burrus
La mort de Sextus Afrianus Burrus en 62 ap. J.-C., préfet du prétoire depuis 51 ap. J.-C., fut l'objet de récits contradictoires, certains pensant qu'elle était naturelle, d'autres qu'il s'agissait d'un empoisonnement.
Plures iussu Neronis, quasi remedium adhiberetur, inlitum palatum eius [Burri] noxio medicamine adseuerabant, et Burrum intellecto scelere, cum ad uisendum eum princeps uenisset, aspectum eius auersatum sciscitanti hactenus respondisse : « Ego me bene habeo » . Un plus grand nombre affirmait que c’était sous l’ordre de Néron que, sous prétexte de lui appliquer un remède, on avait enduit le palais de Burrus d’une drogue nuisible ; que Burrus avait compris le crime, et que, lorsque le prince était venu lui rendre visite, il avait détourné le regard, répondant à ses interrogations ces seuls mots : « Moi, je me porte bien ».
183/430 [Ann] XIV, 56 Néron refuse que Sénèque se retire de la vie publique
Tombé en disgrâce après la mort de Burrus (Tac., Ann., 14.52), Sénèque chercha à quitter les sphères du pouvoir et demanda à Néron la permission de se retirer de la vie publique. Celui-ci refusa, alléguant tout particulièrement qu'une telle décision écornerait son image.
« Non tua [sc. Senecae] moderatio, si reddideris pecuniam, nec quies, si reliqueris principem, sed mea [sc. Neronis] auaritia, meae crudelitatis metus in ore omnium uersabitur. » « Ce n’est pas de ta modération, si tu rends cet argent, dont tout le monde parlera, ni de ton repos, si tu quittes l’empereur : mais c’est bien ma cupidité, la crainte de ma cruauté qui seront sur les lèvres de tous. »
184/430 [Ann] XIV, 57 Assassinat de Cornelius Sulla
En 62 ap. J.-C., Néron mit à mort deux capaces imperii, Faustus Cornelius Sulla Felix et Rubellius Plautus. Le premier était le gendre de Claude (l'époux de Claudia Antonia). Exilé à Marseille, Sulla fut exécuté rapidement, sans que l'information se répandît dans la rumeur. (Cf. Tac., Ann., 14.58 pour Rubellius Plautus.)
Nec ultra mora . Sulla sexto die peruectis Massiliam percussoribus ante metum et rumorem interficitur, cum epulandi causa discumberet. Sans d’autre délai, des assassins se déplacent en six jours à Marseille et, avant que ne naissent la crainte et la rumeur, il est tué au moment où il se couche pour manger.
185/430 [Ann] XIV, 58 Assassinat de Rubellius Plautus
Rubellius Plautus était un capax imperii jugé très dangereux par Néron (cf. Tac., Ann., 14.22 pour son ascendance et ses prétendues ambitions). En 62, il fut mis à mort, peu après Cornelius Sulla (Tac., Ann., 14.57), mais plus difficilement du fait de la distance (il était exilé en Asie, non loin des légions d'Orient).
Plauto parari necem non perinde occultum fuit, quia pluribus salus eius curabatur et spatium itineris ac maris tempusque interiectum mouerat famam  ; uulgoque fingebant petitum ab eo Corbulonem, magnis tum exercitibus praesidentem et, clari et insontes si interficerentur, praecipuum ad pericula. Quin et Asiam fauore iuuenis arma cepisse, nec milites ad scelus missos aut numero ualidos aut animo promptos, postquam iussa efficere nequiuerint, ad spes nouas transisse. Vana haec more famae credentium otio augebantur. La préparation du meurtre de Plautus ne se fit pas dans le même secret, car plus de gens se souciaient de sa vie ; en outre, la distance terrestre et maritime qui le tenait éloigné en espace et en temps avait mis en branle la rumeur. La foule s’imaginait qu’il avait sollicité Corbulon, qui dirigeait alors de grandes armées et, si les personnes célèbres et innocentes en venaient à être tuées, courait un très grand danger. Mais les bruits allaient plus loin : l’Asie, favorable au jeune homme, avait pris les armes, et les soldats envoyés pour perpétrer le crime, manquant de force par leur trop petit nombre ou de résolution d’esprit, n’avaient pas pu exécuter leurs ordres, et avaient donc fini par les trahir pour des espérances révolutionnaires. Ces paroles étaient vaines, comme de coutume pour la rumeur, et l’inaction de ceux qui y accordaient créance les augmentait.
186/430 [Ann] XIV, 60-61 Répudiation d'Octavie
Le choix de répudier Octavie pour prendre Poppée en mariage créa un mécontentement ostensible dans la plèbe romaine, qui se concrétisa dans une manifestation de soutien lorsque l'on crut (faussement) qu'Octavie, reléguée en Campanie, serait rappelée.
Inde [sc. mota Octauia] crebri questus nec occulti per uulgum, cui minor sapientia et ex mediocritate fortunae pauciora pericula sunt . His *** tamquam Nero paenitentia flagitii coniugem reuocarit Octauiam. (61) Exim laeti Capitolium scandunt deosque tandem uenerantur. Effigies Poppaeae proruunt, Octauiae imagines gestant umeris, spargunt floribus foroque ac templis statuunt . Itur etiam in principis laudes strepitu uenerantium. Iamque et Palatium multitudine et clamoribus complebant, cum emissi militum globi uerberibus et intento ferro turbatos disiecere. Mutataque quae per seditionem uerterant et Poppaeae honos repositus est . Le divorce avec Octavie causa des plaintes nombreuses et nullement secrètes dans la foule, elle qui est moins raisonnable et qui, grâce à sa condition insignifiante, s’expose à des risques plus petits. [Ces bruits firent croire que Néron allait rappeler Octavie comme épouse] en donnant l’apparence de se repentir de sa faute. (61) En conséquence, la foule heureuse monte sur le Capitole et, enfin, honore les dieux. On renverse les statues de Poppée, on transporte sur les épaules les images d’Octavie, on les recouvre de fleurs,  on les met sur le Forum et dans les temples. Dans le vacarme de ces prières, on va même jusqu’à louer le prince. Déjà la foule remplissait par son nombre et ses clameurs le Palais, lorsque des pelotons de soldats furent envoyés dehors et, à l’aide de verges et d’épées tirées, dispersèrent ces séditieux. Les changements apportés par la sédition furent annulés : on remit en place l’ensemble des marques d’honneur données à Poppée.
187/430 [Ann] XIV, 63 Exil d'Octavie
Après avoir été écartée en Campanie, Octavie fut exilée sur l'île de Pandateria (dans le golfe de Naples), sur le prétexte d'avoir conspiré contre le prince. Son départ pour l'exile est l'occasion pour Tacite d'un tableau particulièrement pathétique, médié à une voix anonyme.
Non alia exul uisentium oculos maiore misericordia adfecit. Meminerant adhuc quidam Agrippinae a Tiberio, recentior Iuliae memoria obuersabatur a Claudio pulsae ; sed illis robur aetatis adfuerat ; laeta aliqua uiderant et praesentem saeuitiam melioris olim fortunae recordatione adleuabant : huic primum nuptiarum dies loco funeris fuit, deductae in domum, in qua nihil nisi luctuosum haberet , erepto per uenenum patre et statim fratre ; tum ancilla domina ualidior et Poppaea non nisi in perniciem uxoris nupta ; postremo crimen omni exitio grauius. Aucune exilée ne suscita dans le regard des spectateurs plus de pitié. Certains se rappelaient encore Agrippine, chassée par Tibère, mais l’on se souvenait plus vivement de Julie, bannie par Claude. Elles, néanmoins, elles étaient dans la force de l’âge : elles avaient vu des événements heureux et la cruauté qu’elles subissaient alors s’allégeait du souvenir de leur bonne fortune passée. Octavie, c’était le jour de ses noces qui avait été le premier de sa ruine, elle qui était entrée dans une maison où elle ne trouverait que du malheur : son père lui avait été arraché par le poison, comme son frère aussitôt après ; une servante plus puissante dès lors que sa maîtresse, Poppée, cette mariée qui ne voulait que la perte de l’épouse, enfin ce grief plus grave que n’importe quelle mort.
188/430 [Ann] XV, 1 Colère des Parthes contre Tigrane
À la suite des troubles en Arménie, Rome a placé Tigrane, ancien otage et client de Rome, à la tête du pays, aux dépens de Tiridate, frère de Vologèse et allié aux Parthes. L'invasion par Tigrane du pays des Adiabènes provoque la colère des Parthes.
Quippe egressus Armenia Tigranes Adiabenos, conterminam nationem, latius et diutius quam per latrocinia uastauerat, idque primores gentium aegre tolerabant : eo contemptionis descensum ut ne duce quidem Romano incursarentur, sed temeritate obsidis tot per annos inter mancipia habiti. De fait, Tigrane avait fait une sortie et, parti d’Arménie, il ravageait le pays des Adiabènes (un peuple voisin) plus largement et plus longtemps que s’il se contentait de rapines. Ce comportement scandalisait l’élite locale : voilà donc le degré de mépris que l’on avait atteint ! Ils n’étaient même plus envahis par un chef romain, mais par la témérité d’un otage resté au rang d’esclave pendant tant d’années !
189/430 [Ann] XV, 4 Marche du Parthe Monésès
Suite à l'installation de Tigrane comme roi d'Arménie et à sa campagne dirigée contre les Parthes, ceux-ci envoient une armée, menée par le noble parthe Monésès, contre le souverain pro-romain. Tacite décrit ici sa marche et l'échec de sa stratégie de campagne rapide.
Ea dum a Corbulone tuendae Syriae parantur, acto raptim agmine Monaeses ut famam sui praeiret, non ideo nescium aut incautum Tigranen offendit. Pendant que Corbulon préparait ces manœuvres pour protéger la Syrie, Monésès menait à la hâte son armée pour devancer le bruit de sa marche, mais il ne trouva pas pour autant Tigrane sans défense ou surpris par son offensive.
190/430 [Ann] XV, 6 Commentaires anonymes sur le succès de Corbulon
Ayant bien contré la campagne de Monésès et les manœuvres de Vologèse, Corbulon obtient le retrait des forces parthes d'Arménie. Étonnamment, Tacite rapporte immédiatement des propos anonymes (de qui ? Tacite ne le dit pas : ils ont dû circuler dans l'armée ou à Rome), qui s'attaquent à ce succès du général romain.
Haec [sc. concessus Vologesis] plures ut formidine regis et Corbulonis minis patrata ac magnifica extollebant. Alii occulte pepigisse interpretabantur, ut omisso utrimque bello et abeunte Vologese Tigranes quoque Armenia abscederet. Cur enim exercitum Romanum a Tigranocertis deductum ? Cur deserta per otium quae bello defenderant ? An melius hibernauisse in extrema Cappadocia, raptim erectis tuguriis, quam in sede regni modo retenti ? Dilata prorsus arma, ut Vologeses cum alio quam cum Corbulone certaret, Corbulo meritae tot per annos gloriae non ultra periculum faceret. La retraite de Vologèse, la plupart l’exaltaient : c’était, selon eux, le résultat de la crainte du roi et des menaces de Corbulon. Mais d’autres l’analysaient comme un accord secret selon lequel, une fois que la guerre aurait cessé des deux côtés et que Vologèse serait parti, Tigrane se retirerait aussi de l’Arménie. Pourquoi en effet avait-on sorti l’armée romaine de Tigranocerte ? Pourquoi avoir quitté par la paix ce que l’on avait défendu dans la guerre ? Ou bien était-ce que l’hiver avait été plus agréable aux confins de la Cappadoce dans des yourtes montées à la va-vite que dans la capitale d’un royaume tout juste reconquis ? On ajournait complètement les combats pour que Vologèse affrontât un autre adversaire que Corbulon, et que Corbulon ne livrât pas à un danger supplémentaire une gloire acquise pendant tant d’années.
191/430 [Ann] XV, 10 Premiers échecs de Caesennius Paetus
Corbulon avait demandé à Néron de l'aide pour défendre l'Arménie, menacée par les Parthes ; on lui adjoignit donc L. Caesennius Paetus, gouverneur de Cappadoce (cf. Tac., Ann., 15.6). Celui-ci s'engage dans une campagne dangereuse et inconsidérée.
Accitur [a Paeto] legio duodecima et, unde famam aucti exercitus sperauerat, prodita infrequentia. Paetus fait venir la douzième légion, mais cet ordre dont il espérait qu’il répandrait le bruit de l’accroissement de son armée trahit son infériorité numérique.
192/430 [Ann] XV, 11 Massacre de l'armée romaine par Vologèse
La mauvaise campagne menée par Caesennius Paetus dans la guerre romano-parthe conduit ce dernier à essuyer une grave défaite à Rhandeia.
Peditum si quis integer longinqua et auia, uulnerati castra repetiuere, uirtutem regis [Vologesis], saeuitiam et copias gentium, cuncta metu extollentes , facili credulitate eorum qui eadem pauebant . Dans l’infanterie, ceux qui étaient indemnes gagnèrent des lieux éloignés et inaccessibles ; quant aux blessés, ils retournèrent au camp et y exaltèrent la valeur du roi, la cruauté et le nombre de ses gens, toutes choses dites sous le coup de la peur et qui bénéficiaient de la crédulité plus grande de ceux qui partageaient leurs craintes.
193/430 [Ann] XV, 13 Comportement des soldats romains lors du siège de Rhandeia
Caesennius Paetus a dû se replier sur la ville de Rhandeia, après avoir été lourdement battu. Il y est assiégé par Vologèse, roi des Parthes. Tacite décrit ici le comportement (honteux à ses yeux) des soldats romains, qui refusent de combattre, alléguant des exemples tirés de l'histoire militaire romaine.
At illi [milites] uix contuberniis extracti, nec aliud quam munimenta propugnabant, pars iussu ducis, et alii propria ignauia aut Corbulonem opperientes, ac uis si ingrueret, prouisis exemplis Caudinae Numantinaeque pacis : neque eandem uim Samnitibus, Italico populo, ac Parthis, Romani imperii aemulis ; ualidam quoque et laudatam antiquitatem, quotiens fortuna contra daret, saluti consuluisse. Qua desperatatione exercitus dux subactus , primas tamen litteras ad Vologesen, non supplices, sed in modum querentis, composuit […]. Quant aux soldats romains, ils n’étaient presque pas attirés hors de leurs tentes, et ils se contentaient de défendre leurs protections : une partie suivait ainsi les ordres du chef, et les autres agissaient de cette façon à cause de leur propre apathie ou pour attendre Corbulon. Si l’attaque devenait pressante, ils avaient prévu d’utiliser comme exemples la paix de Caudium ou de Numance : selon eux, les Samnites, ce peuple italique, n’avaient d’ailleurs pas la même puissance que les Parthes, rivaux de l’Empire romain ; l’antiquité aussi, dont on louait la puissance, à chaque fois que la Fortune lui était contraire, avait veillé à son salut. Ce désespoir de l’armée contraignit le chef à écrire une première lettre à Vologèse dont le ton n’était pas suppliant mais plaintif en apparence.  
194/430 [Ann] XV, 15 Rumeur de l'humiliation de l'armée romaine en Arménie
La défaite de Rhandeia est une humiliation pour l'armée de Caesennius Rufus, mais la rumeur (rumor) ajoute plusieurs informations fausses, plus humiliantes encore, sur les conditions de la reddition romaine.
Addidit rumor sub iugum missas legiones et alia ex rebus infaustis quorum simulacrum ab Arbeniis usurpatum est . La rumeur ajouta que les légions étaient passées sous le joug et d’autres humiliations suggérées par les échecs de l’armée, dont les Arméniens répandaient l’apparence.
195/430 [Ann] XV, 15 Rumeur d'une ruse romaine
Les Romains ont dû construire un pont au roi parthe Vologèse en guise d'humiliation après la défaite de Rhandeia. La (fausse) rumeur courut, apparemment dans l'armée parthe, qu'il s'agissait d'une ruse (dolus) et que le pont allait s'effondrer.
Flumen Arsaniam elephanto insidens [Vologeses], proximus quisque regem ui equorum perrupere, quia rumor incesserat pontem cessurum oneri dolo fabricantium : sed qui ingredi aussi sunt ualidum et fidum intellexere. Vologèse, était au milieu du fleuve d’Arsanias sur un éléphant ; tous ceux qui étaient proches du roi forcèrent le courant en s’aidant de leur cheval, car la rumeur s’était répandue que le pont céderait sous leur poids grâce à un artifice de ceux qui l’avaient construit ; mais les soldats qui osèrent marcher dessus le trouvèrent solide et fiable.
196/430 [Ann] XV, 16 Déploration dans les armées romaines à la suite de la défaite de Rhandeia
La rencontre entre l'armée de Caesennius Paetus, battue à Rhandeia, et celle de Corbulon, arrivée trop tard pour éviter la défaite, s'effectua dans une scène particulièrement pathétique (à en croire Tacite).
Maesti manipuli ac uicem commilitonum miserantes ne lacrimis quidem temperare ; uix prae fletu usurpata consalutatio . Decesserat certamen uirtutis et ambitio gloriae, felicium hominum adfectus : sola misericordia ualebat et apud minores magis. Les manipules étaient dévastés et déploraient le sort de leurs camarades ; ils ne maîtrisaient pas même leurs larmes. Il s’en fallut de peu pour que leurs pleurs ne les empêchassent d’échanger le salut. C’en était fini de l’émulation dans le courage, de la recherche de la gloire, ces sentiments propres aux hommes heureux : seule régnait la pitié, et en particulier chez les simples soldats.
197/430 [Ann] XV, 29 Traité de Rhandeia
En 63 ap. J.-C., un an après la défaite de Rhandeia et sur le lieu même de cette humiliation romaine, Tiridate, prétendant au trône d'Arménie poussé par son frère Vologèse (roi des Parthes), accepte l'hégémonie romaine sur cette région et remet son diadème à Corbulon, avant d'entamer un voyage à Rome pour être couronné par Néron.
Ad quam [effigiem Neronis] progressus Tiridates, caesis ex more uictimis sublatum capiti diadema imagini subiecit , magnis apud cunctos animorum motibus , quos augebat insita adhuc oculis exercituum Romanorum caedes aut obsidio : at nunc uersos casus ; iturum Tiridaten ostentui gentibus quanto minus quam captiuum  ? Tiridate s’avança vers l’image de Néron ; des victimes avaient été sacrifiées, selon la coutume ; il enleva le diadème de sa tête et le plaça sous le portrait, suscitant une forte émotion chez tous les spectateurs, qu’augmentait la présence sous leurs yeux du massacre ou du siège des armées romaines. Et désormais, la conjoncture avait bien changé : Tiridate, qui était sur le point d'être montré aux peuples, était-il autre chose qu’un captif ?
198/430 [Ann] XV, 33 Néron se produit à Naples
Après être monté sur scène à titre privé (ou semi-public) à Rome, Néron va chanter au théâtre de Naples.
Ergo contractum oppidanorum uulgus , et quos e proximis coloniis et municipiis eius rei fama acciuerat, quique Caesarem per honorem aut uarios usus sectantur, etiam militum manipuli, theatrum Neapolitanorum complent. Par conséquent, on rassemble la foule des habitants des provinces : ceux que le bruit de l’événement avaient fait venir des colonies et des municipes les plus proches, ceux qui suivaient César comme courtisans ou pour divers services, et même des manipules de soldats remplissent le théâtre de Naples.
199/430 [Ann] XV, 36 Néron renonce à partir pour l'Égypte
Après avoir renoncé à partir pour l'Achaïe, où il voulait exercer ses talents d'artiste (sans que Tacite donne la raison de ce changement de programme), Néron reçoit des signes négatifs lors d'un sacrifice au Capitole et reporte aussi son voyage en Égypte. Il en donne cette fois une justification publique.
Illic [in Capitolio] ueneratus deos, cum Vestae quoque templum inisset, repente cunctos per artus tremens, seu numine exterrente, seu facinorum recordatione[,] numquam timore uacuus , deseruit inceptum, cunctas sibi curas amore patriae leuiores dictitans. Vidisse maestos ciuium uultus, audire secretas querimonias , quod tantum itineris aditurus esset, cuius ne modicos quidem egressus tolerarent, sueti aduersum fortuita adspectu principis refoueri. Ergo ut in priuatis necessitudinibus proxima pignora praeualerent, ita populum Romanum uim plurimam habere parendumque retinenti. Haec atque talia plebi uolentia fuere, uoluptatum cupidine et, quae praecipua cura est, rei frumentariae angustias, si abesset , metuenti. Au Capitole, il honora les dieux ; mais comme il entrait aussi dans le temple de Vesta, il se mit soudain à trembler de tout son corps, soit qu’il fût terrifié par la divinité, soit qu’il se souvînt de ses crimes, lui qui n’était jamais dépourvu de peur. Il abandonna donc son projet, affirmant sans relâche qu’il n’y avait pas d’intérêt personnel qu’il mît au-dessus de son amour pour la patrie. Il avait vu, disait-il, l’affliction sur le visage des citoyens ; il avait entendu leurs plaintes secrètes quant au long voyage qu’il allait entreprendre : ils ne souffriraient pas même qu’il quittât la ville pour peu de temps, eux que la vue du prince réconfortait d’habitude contre le hasard. Donc, de la même façon que, dans les relations privées, c’étaient ceux qui lui étaient les plus chers qui l’emportaient, le peuple romain avait le plus de pouvoir et il fallait obéir à ses tentatives pour qu’il demeurât à Rome. Ces paroles et d’autres similaires furent agréables à la plèbe dans son envie de plaisirs ; en outre, et c’était là son principal souci, elle craignait, si l’empereur s’absentait, des difficultés dans l’institution frumentaire.
200/430 [Ann] XV, 37 Festin de Tigellin
Resté à Rome après avoir esquissé le projet de partir pour l'Orient, Néron s'abandonne au luxe des plaisirs de l'Vrbs, notamment aux festivités organisées par Tigellin, son préfet du prétoire.
Ipse [Nero] quo fidem adquireret nihil usquam perinde laetum sibi, publicis locis struere convivia totaque urbe quasi domo uti. Et celeberrimae luxu fama que epulae fuere, quas a Tigellino paratas ut exemplum referam, ne saepius eadem prodigentia narranda sit. […] Crepidinibus stagni lupanaria adstabant inlustribus feminis completa et contra scorta uisebantur nudis corporibus. Iam gestus motus que obsceni ; et postquam tenebrae incedebant , quantum iuxta nemoris et circumiecta tecta consonare cantu et luminibus clarescere . Quant à Néron, pour accréditer l’idée qu’aucun autre lieu ne le rendait plus heureux que Rome, il dresse des festins dans des lieux publics, et se comporte dans la ville tout entière comme si c’était sa maison. Le banquet le plus célèbre par le faste et la rumeur dont il bénéficia fut celui que prépara Tigellin et que je rapporterai en guise d’exemple afin de ne pas avoir à raconter ailleurs d’autres expressions de la même profusion. […] Sur les berges de l’étang, il y avait des lupanars remplis de femmes célèbres ; en face, on contemplait des prostituées dénudées. Déjà, ce sont des gestes et des mouvements lascifs ; et une fois les ténèbres descendus, tout le bois et les demeures à l’entour résonnaient des chants et s’éclairaient des lumières.