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Voix de la Foule chez Tacite

Extemplo Libyae magnas it Fama per urbes, / Fama, malum qua non aliud velocius ullum [...]

(Virgile, Énéide, 4.173-174)

Illustration médiévale de la Fama

Illustration de l'édition Brant de l'Énéide, Strasbourg 1502

Affichage du corpus

En jaune, les termes renvoyant à une vocalisation collective. En vert, le discours indirect rattaché à la foule.

1/430 [Ann] I, 4-5 Rumeurs à propos des potentiels successeurs d'Auguste
A sa mort en 14 ap. J.-C., la question du successeur d'Auguste fut objet de discussions politiques à Rome entre deux camps. Ce que Tacite nous présente comme des uarii rumores passent successivement en revue Agrippa puis Tibère, les deux principaux concurrents. Enfin, Tacite en profite pour rapporter une ultime rumeur sur le potentiel empoisonnement d'Auguste par son épouse, Livie.
Pars multo maxima imminentis dominos uariis rumoribus differebant : trucem Agrippam et ignominia accensum, non aetate neque rerum experientia tantae moli parem ; Tiberium Neronem maturum annis, spectatum bello, sed uetere atque insita Claudiae familiae suberbia ; multaque indicia saeuitiae, quamquam premantur, erumpere . Hunc et prima ab infantia eductum in domo regnatrice ; congestos iuueni consulatus, triumphos ; ne iis quidem annis quibus Rhodi specie secessus exul egerit aliud quam iram et simulationem et secretas lubidines meditatum. Accedere matrem muliebri impotentia : seruiendum feminae duobusque insuper adulescentibus qui rem publicam interim premant quandoque distrahant. (5) Haec atque talia agitantibus grauescere ualetudo Augusti et quidam scelus uxoris suspectabant. Quippe rumor incesserat paucos ante mensis Augustum, electis consciis et comite uno Fabio Maximo, Planasiam uectum ad uisendum Agrippam […] . Ceux qui étaient de loin les plus nombreux colportaient en diverses rumeurs la menace que représentaient les maîtres : Agrippa ? cruel et échaudé par le déshonneur, pas à la hauteur, au vu de son âge et de son expérience, d’une tâche si lourde ; Tiberius Nero ? homme fait et éprouvé par la guerre, mais doté de l’antique orgueil naturel chez les Claudii – de nombreux signes de sa cruauté, quoique réprimés, cherchaient à éclater. Lui-même, et ce dès sa première enfance, avait été introduit dans une maison régnante ; s’étaient entassés sur sa jeunesse consulats et triomphes ; même lors de ces années passées à Rhodes en exil sous l’apparence d’une retraite, il n’avait mis en place que sa colère, sa dissimulation et ses débauches secrètes. En outre, sa mère et son incapacité, propre au féminin, à se contenir : c’est à une femme qu’il faudrait obéir et, en outre, à deux jeunes hommes capables de tantôt opprimer l’État, tantôt de le déchirer. (5) Voilà, à peu près, ce qu’ils agitaient, alors que la santé d’Auguste s’aggravait et que certains soupçonnaient son épouse d’un crime. De fait, la rumeur s’était propagée qu’Auguste, quelques mois auparavant, en n’en faisant la confidence qu’à un groupe choisi et accompagné seulement de Fabius Maximus, s’était rendu à Planasie pour voir Agrippa […].
2/430 [Ann] I, 5 Manœuvres de Livie à la mort d'Auguste
Livie s'efforce de contrôler la circulation des informations à la mort d'Auguste, qu'elle dissimule, afin que Tibère obtienne le pouvoir sans troubles.
Acribus namque custodiis domum et uias saepserat Liuia, laetique interdum nuntii uulgabantur, donec prouisis quae tempus monebat simul excessisse Augustum et rerum potiri Neronem fama eadem tulit. Livie avait en effet entouré le palais et les voies d’accès de sentinelles zélées, et, de temps à autre, d’heureuses nouvelles filtraient, jusqu’à ce qu’enfin, une fois prévues les mesures que la situation réclamait, un bruit porta deux nouvelles d’un même coup : Auguste était mort, et Néron avait le pouvoir.
3/430 [Ann] I, 7 Rome prête serment à Tibère
Tibère ayant accédé au pouvoir, Tacite décrit, dans une vision descendante sociologiquement comme à son habitude, comment les différentes composantes sociales de Rome lui prêtent serment.
Sex. Pompeius et Sex. Appuleius consules primi in uerba Tiberii Caesaris iurauere, apudque eos Seius Strabo et C. Turranius, ille praetoriarum cohortium praefectus, hic annonae ; mox senatus milesque et populus. Sextus Pompée et Sextus Appuleius, en tant que consuls, furent les premiers à prêter serment à Tibère ; puis, devant eux, ce furent Seius Strabo et Caius Turranius, celui-ci préfet des cohortes prétoriennes, celui-là, de l’annone ; bientôt après, le sénat, l’armée et le peuple.
4/430 [Ann] I, 8 Réactions lors des funérailles d'Auguste
Le jour des funérailles d'Auguste, on entendit, selon Tacite, des commentaires ironiques qui comparaient l'événements aux débordements que la ville avait connus après la mort de Jules César.
Die funeris milites uelut praesidio stetere, multum inridentibus qui ipsi uiderant quique a parentibus acceperant diem illum crudi adhuc seruitii et libertatis inprospere repetitae, cum occisus dictator Caesar aliis pessimum, aliis pulcherrimum facinus uideretur : nunc senem principem, longa potentia, prouisis etiam herendum in rem publicam opibus, auxilio scilicet militari tuendum, ut sepultura eius quieta foret. Le jour de ses funérailles, les soldats étaient debout comme pour le défendre, cibles de nombreuses moqueries de la part de ceux qui avaient eux-mêmes vu ou qui avaient entendu parler par leurs parents de ce grand jour où la servitude était encore fraiche et la liberté revendiquée sans succès, lorsque le meurtre du dictateur César paraissait un acte ignoble pour les uns, magnifique pour les autres ; désormais, c’était un prince décrépit par un long exercice du pouvoir, et alors qu’un secours contre la république avait été prévu pour ses héritiers, qu’il fallait, apparemment, protéger par des troupes militaires pour conserver la sérénité de sa sépulture.
5/430 [Ann] I, 9-10 Totengericht d'Auguste
Commentaires anonymes qui suivent les funérailles d'Auguste et jugent la vie du premier empereur de Rome, pour une partie positivement, pour une autre négativement.
Multus hinc ipso de Augusto sermo, plerisque uana mirantibus quod idem dies accepti quondam imperii princeps et uitae supremus, quod Nolae in domo et cubiculo in quo pater eius Octauius uitam finiuisset. Numerus etiam consulatuum celebrabatur , quo Valerium Coruum et C. Marium simul aequauerat ; continuata per septem et triginta annos tribunicia potestas, nomen inperatoris semel atque uicies partum aliaque honorum multiplicata aut noua. At apud prudentis uita eius uarie extollebatur arguebaturue. Hi pietate erga parentem et necessitudine rei publicae, in qua nullus tunc legibus locus, ad arma ciuilia actum, quae neque parari possent neque haberi per bonas artis. Multa Antonio, dum interfectoris patris ulcisceretur, multa Lepido concessisse. Postquam hic socordia senuerit, ille per libidines pessum datus sit, non aliud discordantis patriae remedium fuisse quam ut ab uno regeretur . Non regno tamen neque dictatura, sed principis nomine constitutam rem publicam ; mari Oceano aut amnibus longinquis saeptum imperium ; legiones, prouincias, classis, cuncta inter se conexa  ; ius apud ciuis, modestiam apud socios ; urbem ipsam magnifico ornatu ; pauca admodum ui tractata quo ceteris quies esset. (10)Dicebatur contra : pietatem erga parentem et tempora rei publicae obtentui sumpta ; ceterum cupidine dominandi concitos per largitionem ueteranos, paratum ab adulescente priuato exercitum, corruptas consulis legiones, simulatam Pompeianarum gratiam partium ; mox ubi decreto patrum fascis et ius praetoris inuaserit, caesis Hirtio et Pansa, siue hostis illos, seu Pansam uenenum uulneri adfusum, sui milites Hirtium et machinator doli Caesar abstulerat, utriusque copias occupauisse ; extortum inuito senatu consulatum, armaque quae in Antonium acceperit contra rem publicam uersa ; proscriptionem ciuium, diuisiones agrorum ne ipsis quidem qui fecere laudatas. Sane Cassii et Brutorum exitus paternis inimicitiis datos, quamquam fas sit priuata odia publicis utilitatibus remittere : sed Pompeium imagine pacis, sed Lepidum specie amicitiae deceptos ; post Antonium, Tarentino Brundisinoque foedere et nuptiis sororis inlectum, subdolae adfinitatis poenas morte exsoluisse. Pacem sine dubio posta haec, uerum cruentam : Lollianas Varianasque cladis, interfectos Romae Varrones, Egnatios, Iullos. Nec domesticis abstinebatur : abducta Neroni uxor et consulti per ludibrium pontifices an concepto necdum edito partu rite nuberet ; Q. Tedii et Vedii Pollionis luxus ; postremo Liuia grauis in rem publicam mater, grauis domui Caesarum nouerca. Nihil deorum honoribus relictum, cum se templis et effigie numinum per flamines et sacerdotes coli uellet. Ne Tiberium quidem caritate aut rei publicae cura successorem adscitum, sed, quoniam adrogantiam saeuitiamque eius introspexerit, comparatione deterrima sibi gloriam quaesiuisse. De là, une longue discussion sur la personne d’Auguste : la plupart s’étonnait de phénomènes vains – le dernier jour de sa vie correspondait à celui où, autrefois, il avait pris le pouvoir impérial pour la première fois ; il était mort à Nole, dans la maison, dans le lit où son père, Octave, avait expiré. On proclamait le nombre de ses consulats, qui l’égalait dans le même temps à Valérius Corvus et à Marius, la puissance tribunicienne, qu’il avait eue de manière continue pendant trente-sept ans, le nom d’imperator, qu’il avait acquis vingt-et-une fois, et d’autres honneurs qu’il avait multipliés ou inaugurés. Mais parmi ceux qui réfléchissaient, on exaltait ou on dénonçait sa vie de diverses façons. Les uns affirmaient que c’était par piété filiale et obligé par la situation de l’état, où il n’y avait alors aucune place pour la loi, qu’il avait déclenché une guerre civile, que l’on ne saurait, il est vrai, préparer ou mener selon d’honnêtes procédés. Il avait fait beaucoup de concessions à Antoine et tout autant à Lépide tandis qu’il vengeait les meurtriers de son père. Une fois l’un vieilli dans sa bêtise et l’autre déchu par ses passions, il n’y avait pas d’autre remède aux discordes civiles que le règne d’un seul ; mais ce n’était pas une royauté ou une dictature qui avait fondé l’État, mais le nom d’un prince. Les limites de l’empire, ce fut l’Océan ou des fleuves éloignés qui les fixèrent ; les légions, les provinces, la flotte : toutes les parties faisaient corps ensemble ; aux citoyens le droit, aux alliés la modestie ; la ville elle-même se parait de magnificence ; un petit nombre de mesures, tout au moins, avaient été prises avec force pour que le calme règne partout ailleurs. On leur rétorquait que, concernant sa piété filiale et les difficultés de l’État, elles avaient été recueillies comme des prétextes ; qu’au reste, son désir de domination l’avait conduit à exciter les vétérans à force de largesses, à se ménager, alors adolescent et homme privé, une armée, à corrompre les légions d’un consul, à simuler la complaisance pour le parti pompéien ; puis, lorsque, par un décret des sénateurs, il s’était jeté sur les faisceaux, droits des préteurs, une fois Hirtius et Pansa tués, soit que les ennemis les eussent enlevés, soit que, pour Pansa, ce fût du poison versé sur sa blessure, pour Hirtius, l’action de ses propres soldats et[, derrière,] la machination de César, il avait pris possession de leurs troupes respectives ; son consulat avait été arraché aux sénateurs contre leur gré, et les armes qu’il avait reçues pour lutter contre Antoine, il les avait tournées contre l’État ; il avait proscrit des citoyens, fait une réforme agraire sans même que ceux qui avaient fait ces mesures ne l’en louassent. Certes, la mort de Cassius et de Brutus avait été attribuée aux haines de son père, quoiqu’il soit permis de concéder les rancœurs privées à l’utilité publique ; mais Pompée, c’était l’image de la paix, et Lépide, l’apparence de l’amitié qui les avaient trompés ; dans la suite, Antoine, que les traités de Tarente et de Brindes ainsi que les noces de sa sœur avaient séduit, avait payé par la mort le prix d’une proximité fourbe. Aucun doute : c’est la paix qui y avait succédé, mais une paix sanglante : massacres de Lollius et de Varus, meurtres, à Rome, des Varron, des Egnatius, des Iulle. Et l’on n’évitait pas ses affaires privées : il avait enlevé à Néron sa femme et consulté par moquerie les pontifes pour savoir s’il était conforme à la religion de se marier enceinte si l’on n’avait pas encore accouché ; il y avait eu les débauches de Q. Tedius et de Vedius Pollio ; puis Livie, cette mère pénible pour l’État, cette marâtre pénible pour la maison des Césars. Il n’avait rien laissé pour honorer les dieux alors qu’il voulait être, dans les temples et avec les images des divinités, l’objet du culte des flamines et des prêtres. Même dans l’adoption de Tibère, il n’avait pas fait preuve de tendresse ou de soin pour l’état ; au contraire, parce qu’il avait remarqué sa superbe et sa cruauté, il avait cherché, par une comparaison qui serait au désavantage de Tibère, à augmenter sa propre gloire.
6/430 [Ann] I, 15 Tibère délègue les élections au Sénat
Le peuple fait entendre une rumeur, jugée inutile par Tacite, en réponse à la réforme tibérienne des comices.
Tum primum e campo comitia ad patres translata sunt : nam ad eam diem, etsi potissima arbitrio principis, quaedam tamen studiis tribuum fiebant. Neque populus ademptum ius questus est nisi inani rumore […]. Alors, pour la première fois, les comices furent transférés du champ de Mars au Sénat : en effet, jusqu’à ce jour, que les élections les plus importantes fussent arbitrées par l’empereur n’empêchait pas que certaines demeurent confiées aux choix passionnés des tribus. Or, le peuple, en guise de plainte contre la suppression de l’un de ses droits, ne fit que de vaines rumeurs […].
7/430 [Ann] I, 16 Corruption des armées de Pannonie
La suspension des affaires à la mort d'Auguste conduit les trois légions de Pannonie (réunies dans les quartiers d'été) à se disperser et à prêter l'oreille aux rumeurs.
Eo principio lasciuire miles discordare, pessimi cuiusque sermonibus praebere auris, denique luxum et otium cupere, disciplinam et laborem aspernari. Par ces débuts, les soldats se mirent à se disperser, se diviser, tendre l’oreille aux discussions des pires éléments, enfin à désirer une débauche oisive, méprisant la discipline et le travail.
8/430 [Ann] I, 18 Réactions de la troupe au discours de Percennius
Dans un semblant de contio, l'ancien chef de claque et soldat du rang Percennius excite la foule, qui réagit bruyamment.
Adstrepebat uulgus, diuersis incitamentis, hi uerberum notas, illi canitiem, plurimi detrita tegmina et nudum corpus exprobrantes. Postremo eo furoris uenere, ut tres legiones miscere in unam agitauerint. La foule mugissait sous le coup de divers aiguillons : les uns montraient en guise de reproche les marques des verges, les autres la blancheur de leurs cheveux, la majorité leurs haillons et leur corps nu. Enfin, ils en vinrent à ce point de folie qu’ils débattirent l’idée de mêler les trois légions en une seule.
9/430 [Ann] I, 19 Décision des légions de Pannonie
Les légions de Pannonie décident par acclamation de confier au fils du légat Junius Blaesus une légation au Sénat.
Adclamauere ut filius Blaesi tribunus legatione ea fungeretur peteretque militibus missionem ab sedecim annis ; cetera mandaturos, ubi prima prouenissent. Ils demandèrent à grands cris que ce fût le fils de Blésus qui, en tant que tribun, s’acquittât de la légation et réclamât pour les soldats le congé à partir de seize ans ; ils enverraient d’autres demandes quand celles-ci auraient été exaucées.
10/430 [Ann] I, 21 Désespoir des mutins de Pannonie
Certains mutins de l'armée de Pannonie, arrêtés par Junius Blaesus, interpellent le reste de l'armée sur le sort qui les attend.
Illi obniti trahentibus, prensare circustantium genua, ciere modo nomina singulorum, modo centuriam quisque cuius manipularis erat, cohortem, legionem, eadem omnibus inminere clamitantes. Eux se mettent à résister à ceux qui les entraînent, à chercher à se saisir des genoux des spectateurs, tantôt à dire le nom de chacun individuellement, tantôt à appeler la centurie à laquelle ils appartenaient, leur cohorte, leur légion : ils ne cessent de crier que le même sort les menace tous.
11/430 [Ann] I, 25 Réaction à la contio de Drusus
La foule militaire réagit de façon diverse à la prise de parole de Drusus devant les mutins de Pannonie.
Stabat Drusus silentium manu poscens. Illi [milites], quoties oculos ad multitudinem rettulerant, uocibus truculentis strepere, rursum uiso Caesare trepidare  ; murmur incertum, atrox clamor et repente quies ; diuersis animorum motibus pauebant terrebantque. Tandem interrupto tumultu, litteras patris recitat [Drusus] […]. Voilà Drusus qui, de sa main, réclame le silence. Les soldats, eux, à la vue de leur nombre, faisaient entendre des cris farouches ; puis, lorsqu’ils regardaient César, ils se mettaient à s'agiter : murmure incertain, violente clameur, et soudain le silence ; des passions contradictoires les apeuraient ou les rendaient effrayants. Enfin le vacarme s’interrompt, et Drusus donne lecture d’une lettre de son père […].
12/430 [Ann] I, 26 Clameur de colère des mutins de Pannonie
L'assemblée devant laquelle s'exprime Drusus se récrie devant l'absence de proposition concrète du fils de l'empereur.
Ad ea [mandata] Drusus cum arbitrium senatus et patris obtenderet, clamore turbatur . Cur uenisset, neque augendis militum stipendiis neque adleuandis laboribus, denique nulla bene faciendi licentia ? At hercule uerbera et necem cunctis permitti. Tiberium olim nomine Augusti desideria legionum frustrari solitum : easdem artis Drusum rettulisse. Numquamne ad se nisi filios familiarum uenturos ? Nouum id plane quod imperator sola militis commoda ad senatum reiciat. Eundem ergo senatum consulendum, quotiens supplicia aut proelia indicantur ; an praemia sub dominis, poenas sine arbitro esse ? Comme Drusus opposait à ces réclamations que c’était là le domaine des sénateurs, une clameur le trouble : pourquoi était-il donc venu, s’il n’avait pour but ni d’augmenter la solde des soldats ni d’alléger leur peine, en un mot, en étant absolument incapable de faire du bien ? Mais, par Hercule !, tous avaient le droit de donner les verges et la mort. Autrefois Tibère se servait du nom d’Auguste pour tromper les requêtes des légions : c’était les mêmes techniques que Drusus remettait au goût du jour. Ne leur enverrait-on jamais que des enfants encore dans le giron familial ? Voilà bien une mesure d’un genre nouveau qu’un empereur ne rejette sur le Sénat que ce qui a trait aux intérêts des soldats. Consultons donc aussi le sénat pour chaque décision de supplice ou de combat ; à moins que les récompenses dépendent des maîtres, mais que les châtiments n’aient pas d’arbitre ?
13/430 [Ann] I, 28 Bruits des soldats pendant l'éclipse de lune
Les légions de Pannonie s'effraient d'une éclipse de lune, qu'ils prennent pour de l'hostilité des dieux à l'égard de leu sédition.
Igitur aeris sono, tubarum cornuumque concentu strepere  : prout splendidior obscuriorue [luna], laetari aut maerere ; et postquam ortae nubes offecere uisui creditumque conditam tenebris, ut sunt mobiles ad superstitionem perculsae semel mentes, sibi aeternum laborem portendi, sua facinora auersari deos lamentantur. Ils se mirent donc à faire entendre le bruit du bronze, à faire résonner ensemble les trompettes et les cors : selon que la lune devenait plus brillante ou plus obscure, ils se réjouissaient ou s’attristaient ; et lorsque des nuages, en se formant, l’eurent dérobée à leur vue, les portant à croire que les ténèbres la cachaient – ainsi prompts à la superstition, les esprits que le trouble a une fois saisis ! –, ils déplorent qu’une peine infinie leur soit prédite et que les dieux dédaignent leurs crimes.
14/430 [Ann] I, 31 Début de la sédition de Germanie
Après avoir narré la révolte des légions de Pannonie, Tacite revient sur celle de Germanie, qui se déroule en même temps, et qui naît des discussions entre soldats.
Igitur, audito fine Augusti, uernacula multitudo, nuper acto in urbe dilectu, lasciuiae sueta, laborum intolerans, implere ceterorum rudes animos : uenisse tempus quo ueterani maturam missionem, iuuenes largiora stipendia, cuncti modum miseriarum exposcerent saeuitiamque centurionum ulciscerentur. Non unus haec , ut Pannonicas inter legiones Percennius, nec apud trepidas militum auris, alios ualidiores exercitus respicientium, sed multa seditionis ora uocesque : sua in manu sitam rem Romanam, suis uictoriis augeri rem publicam, in suum cognomentum adscisci imperatores. Donc, lorsque l’on eut appris la mort d’Auguste, un grand nombre de Romains que l’on avait récemment recrutés dans la ville, gens habitués à la débauche et rétifs aux labeurs, se mit à remplir l’esprit grossier des autres de l’idée que le temps était venu de réclamer pour les vétérans un congé assez tôt venu, pour les jeunes un salaire plus important, pour tous une limite convenable à leurs misères ; il fallait ore se venger de la cruauté des centurions. Et ce n’était pas une seule personne, comme c’était le cas de Percennius au milieu des légions de Pannonie, qui tenait ces propos, pas plus qu’ils n’étaient destinés aux oreilles tremblantes de soldats qui jetteraient leur yeux sur des armées en meilleure forme : au contraire, la sédition avait de multiples bouches et de multiples voix – c’était dans leur main, disaient-ils, que reposait le sort de Rome ; par leurs victoires que s’agrandissait l’État ; d’après leur nom que se nommaient les généraux.
15/430 [Ann] I, 34 Réaction des légions de Germanie à l'arrivée de Germanicus
Tacite décrit les réactions sonores diverses des soldats à l'arrivée de Germanicus auprès des légions révoltées.
Postquam uallum iniit, dissoni questus audiri coepere. […] Silentio haec uel murmure modico audita sunt. Après son entrée dans le retranchement, l’on commence à entendre des plaintes discordantes. […] Son discours fut écouté dans le silence, ou accompagné d’un faible murmure.
16/430 [Ann] I, 35 Revendications des légions de Germanie
Lors de la contio tenue par Germanicus, les soldats mutins font entendre par des cris leurs revendications « sociales », qui visent à diminuer les difficultés du service.
Mox indiscretis uocibus pretia uacationum, angustias stipendii, duritiam operum ac propriis nominibus incusant uallum, fossas, pabuli, materiae, lignorum adgestus et si qua alia ex necessitate aut aduersus otium castrorum quaeruntur. Atrocissimus ueteranorum clamor oriebatur, qui tricena aut supra stipendia numerantes, mederetur fessis, neu mortem in isdem laboribus, sed finem tam exercitae militiae neque inopem requiem orabant. 3 Fuere etiam qui legatam a diuo Augusto pecuniam reposcerent, faustis in Germanicum ominibus  ; et, si uellet imperium, promptos ostentauere. Bientôt, ce sont des voix indistinctes qui accusent le coût des exemptions, la précarité de la solde, la difficulté des travaux : en propre, ériger la palissade, creuser les fossés, amener le fourrage, les matériaux de construction, le bois, et tout ce dont on peut avoir besoin ou qui prévient l’oisiveté d’un camp. S’élevait chez les vétérans la clameur la plus violente : ils faisaient le compte de leurs trente ans, sinon plus, de service ; ils le priaient d’apporter un remède à leur épuisement, non de les faire mourir dans ces mêmes travaux, mais de mettre un terme à un engagement si pénible et de leur donner un repos qui ne fût pas indigent. Il y en avait même pour réclamer l’argent légué par le divin Auguste, accompagnant cela de souhaits de prospérité pour Germanicus ; de plus, ils montraient leur résolution pour le cas où il voudrait l’empire.
17/430 [Ann] I, 39 Agressions des soldats contre une délégation du Sénat
La première et la vingtième légions s'en prennent physiquement et verbalement à une délégation du Sénat, qu'ils accusent de vouloir supprimer les acquis de la révolte.
Interea legati ab senatu regressum iam apud aram Vbiorum Germanicum adeunt. Duae ibi legiones, prima atque uicesima, ueteranique nuper missi sub uexillo hiemabant . Pauidos et conscientia uaecordes intrat metus uenisse patrum iussu qui inrita facerent quae per seditionem expresserant . Vtque mos uulgo quamuis falsis reum subdere, Munatium Plancum consulatu functum, principem legationis, auctorem senatus consulti incusant ; et nocte concubia uexillum in domo Germanici situm flagitare occipiunt, concursuque ad ianuam facto moliuntur foris , extractum cubili Caesarem tradere uexillum intento mortis metu subigunt. Mox uagi per uias obuios habuere legatos, audita consternatione ad Germanicum tendentis . Ingerunt contumelias, caedem parant, Planco maxime, quem dignitas fuga impediuerat ; neque aliud periclitanti subsidium quam castra primae legionis . Pendant ce temps, les légats du Sénat vont trouver Germanicus, qui était déjà revenu à l’autel des Ubiens. À cet endroit passaient l’hiver deux légions, la première et la vingtième, ainsi que les vétérans récemment appelés sous le drapeau. Ces troupes apeurées et en proie à la démence sont pénétrées de la peur que cette ambassade était venue, sur l’ordre des sénateurs, pour annuler les mesures qu’ils avaient arrachées par leur sédition. Suivant l’habitude de la foule de supposer un coupable pour des faits pourtant faux, ils accusent Munatius Plancus, un ancien consul et chef de la délégation, d’être l’auteur du sénatus-consulte ; et en pleine nuit, ils commencent à réclamer le drapeau planté dans la maison de Germanicus : accourant ensemble à sa porte, ils forcent l’entrée, tirent Germanicus du lit et l’obligent, par des menaces de mort, à leur donner le drapeau. Puis, errant dans les rues, ils rencontrèrent des légats qui avaient appris la mutinerie se dirigeaient vers chez Germanicus. Ils leur lancent des injures et s’apprêtent au meurtre, en particulier contre Plancus – sa dignité l’empêchait de fuir. Il n’eut dans cette tentative d’autre refuge que le camp de la première légion.
18/430 [Ann] I, 41 Lamentation des soldats de Germanie au moment du départ d'Agrippine
Germanicus décide d'éloigner de la sédition de Germanie sa femme Agrippine et leur fils, le jeune Caligula ; cette décision déclenche chez les mutins un violent sentiment pathétique et une prise de parole en forme de déploration.
Gemitusque ac planctus etiam militum auris oraque aduertere  : progrediuntur contuberniis. Quis ille flebilis sonus  ? Quod tam triste ? Feminas inlustris, non centurionem ad tutelam, non militem, nihil imperatoriae uxoris aut comitatus soliti : pergere ad Treuiros et externae fidei. […] Orant, obsistunt, rediret, maneret, pars Agrippinae occursantes, plurimi ad Germanicum regressi. Les gémissements et les lamentations vont jusqu’à attirer l’attention des soldats, qui attendent et voient le cortège. Ils sortent de leurs tentes. Qu’est-ce que ces bruits d’affliction ? Qu’y a-t-il de si déplorable ? Des femmes illustres, mais pas de centurion pour les protéger, pas de soldat, rien de propre à l’épouse d’un général, pas de trace de l’escorte habituelle ; et elles se rendent directement chez les Trévires, s’offrent à la confiance d’étrangers ! […] Ils implorent, s’opposent : qu’elle revienne ! qu’elle reste ! Une partie fait obstacle à Agrippine, la plupart reviennent vers Germanicus.
19/430 [Ann] I, 44 Les légions de Germanie reviennent dans le devoir
Les soldats rebelles répondent au discours de Germanicus en reconnaissant leur erreur et en le suppliant de leur pardonner.
Supplices ad haec et uera exprobrari fatentes, [Germanicum] orabant puniret noxios, ignosceret lapsis et duceret in hostem ; reuocaretur coniunx, rediret legionum alumnus neue obses Gallis traderetur. À ces paroles, eux le suppliaient, reconnaissaient la véracité de ses reproches, le priaient de punir les coupables, de pardonner ceux qui s’étaient trompés, de les conduire contre l’ennemi : qu’il fasse revenir son épouse ! qu’il rappelle l’enfant des légions sans le livrer en otage aux Gaulois !
20/430 [Ann] I, 46 Réactions de l'Vrbs aux mutineries
La cité s'alarme de la nouvelle des deux rebellions (sans savoir l'issue de la première, du fait de l'éloignement) et s'en prend à l'inaction de Tibère.
At Romae nondum cognito qui fuisset exitus in Illyrico, et legionum Germanicarum motu audito, trepida ciuitas incusare Tiberium quod, dum patres et plebem, inualida et inermia , cunctatione fincta ludificetur, dissideat interim miles neque duorum adulescentium nondum adulta auctoritate comprimi queat. Ire ipsum et opponere maiestatem imperatoriam debuisse cessuris, ubi principem longa experientia eudemque seueritatis et munificentiae summum uidissent. An Augustum fessa aetate totiens in Germanias commeare potuisse : Tiberium uigentem annis sedere in senatu, uerba patrum cauillantem ? Satis prospectum urbanae seruituti : militaribus animis adhibenda fomenta, ut ferre pacem uelint. À Rome cependant, on ne connaissait pas encore le dénouement des événements d’Illyrie, et l’on avait appris par ouï-dire le mouvement des légions de Germanie ; la ville, inquiète, se mit à accuser Tibère de tromper les sénateurs et la plèbe, ordres impuissants et désarmés, en feignant l’hésitation alors que, dans le même temps, les soldats se révoltaient sans que l’autorité, encore trop jeune, de deux adolescents ne puisse les mater. Il aurait dû y aller lui-même pour leur opposer la majesté de l’empereur : ils auraient cédé à la vue d’un prince doté d’une longue expérience et, par ailleurs, disposant  souverainement des châtiments et des grâces. Quoi ? Auguste, quoique affaibli par la vieillesse, aurait pu se rendre tant de fois en Germanie, et Tibère, dans la fleur de l’âge, resterait assis au Sénat, à jouer au plus fin avec les discours des sénateurs ? On avait assez veillé à l’asservissement de la ville : c’était aux militaires qu’il fallait appliquer un calmant pour qu’ils veuillent bien porter la paix.
21/430 [Ann] I, 49 Purge dans les légions rebelles de Germanie
Les chefs organisent une épuration interne des légions rebelles de Germanie, la « partie la plus saine du camp » (quod maxime castrorum sincerum erat, Tac., Ann., 1.48) se chargeant d'éliminer, de nuit, les meneurs de la sédition.
Diuersa omnium, quae umquam accidere, ciuilium armorum facies. […] Clamor, uulnera, sanguis palam, causa in occulto ; cetera fors regit. Bien différent de tous les combats jamais advenus pendant les guerres civiles, ce spectacle. Seuls les clameurs, les blessures, le sang étaient évidents ; la cause, elle, invisible ; du reste, c’est le hasard qui règne.
22/430 [Ann] I, 49 Volonté de l'armée de Germanie de faire campagne contre les Germains
En réaction aux troubles internes des légions de Germanie, les troupes décident de marcher à l'ennemi, les barbares germains..
Truces etiam tum animos cupido inuolat eundi in hostem, piaculum furoris ; nec aliter posse placari commilitonum manis, quam si pectoribus impiis honesta uulnera accepissent. Ces esprits encore farouches sont alors pénétrés du désir de courir contre l’ennemi : ce sera là l’expiation de leur folie ; le seul moyen d’apaiser les mânes de leurs compagnons d’armes était de recevoir dans leur poitrine impie d’honnêtes blessures.
23/430 [Ann] I, 64 Attaque des Germains sur l'armée d'A. Caecina Severus
La retraite de l'armée de Germanicus à travers le territoire germain conduit la partie menée par le légat A. Caecina Severus à affronter des escarmouches germaines, dans la zone des Pontes Longi.
Barbari perfringere stationes seque inferre munitoribus nisi , lacessunt, circumgrediuntur, occursant : miscetur operantium bellantiumque clamor . Les barbares s’efforçaient de détruire les postes et de se porter au-devant des soldats qui travaillaient aux fortifications ; ils les harcèlent, les entourent, les attaquent ; les clameurs des travailleurs et des soldats se mélangent.
24/430 [Ann] I, 65 Attitude contrastée des Romains et des Germains entre deux batailles
La nuit sépare les affrontements entre les Germains et la partie de l'armée romaine conduite par Caecina ; Tacite décrit l'ambiance (sonore) contrastée entre les deux camps.
Nox per diuersa inquies, cum barbari festis epulis, laeto cantu aut truci sonore subiecta uallium ac resultantis saltus complerent, apud Romanos inualidi ignes, interruptae uoces atque ipsi passim adiacerent uallo, oberrarent tentoriis, insomnes magis quam peruigiles. […] Infectos caeno aut cruore cibos diuidentes, funestas tenebras et tot hominum milibus unum iam reliquum diem lamentabantur. La nuit fut agitée pour des raisons opposées : chez les barbares, banquets festifs, chants de joie et bruits farouches emplissaient la partie inférieure de la vallée et les bois en écho ; du côté des Romains, c’étaient des feux fragiles, des voix qui s’interrompaient ; eux-mêmes, çà et là, étaient allongés le long de leur palissade, errant parmi les tentes sans être capables de dormir bien plus que parce qu’ils veillaient. […] En partageant leur nourriture souillée par la boue ou le sang, ils déploraient ces ténèbres funestes et ce qui était désormais, pour tant de milliers d’hommes, le dernier jour de leur vie.
25/430 [Ann] I, 68 Charge des Romains sur les Germains
La contre-attaque de l'armée de Caecina scelle la victoire romaine ; Tacite nous décrit les cris de guerre que poussent les légions en chargeant.
Postquam haesere munimentis, datur cohortibus signum cornuaque ac tubae concinuere. Exim clamore et impetu tergis Germanorum circumfunduntur , exprobrantes non hic siluas nec paludes, sed aequis locis aequos deos. Une fois [les Germains] bloqués par les défenses, l’on fait donner le signal aux cohortes ; les cors et les trompettes résonnèrent ensemble. De là, une clameur accompagne la charge et l’on se répand sur l’arrière-garde germaine, avec ces reproches : ce n’était pas là des forêts et des marais mais, sur un terrain égal, des dieux égaux.
26/430 [Ann] I, 69 Rumeur de la défaite de l'armée de Caecina en Germanie
Les vicissitudes des Romains lors de la campagne de Germanie ont fait circuler la rumeur d'une défaite des légions à Xanten (Castra Vetera).
Peruaserat interim circumuenti exercitus fama et infesto Germanorum agmine Gallias peti. Pendant ce temps, le bruit s’était répandu que l’armée avait été entourée et que les Gaules étaient gagnées par une armée de Germains hostiles.
27/430 [Ann] I, 70 Rumeur du naufrage de l'armée de Germanicus
Les difficultés que connaissent les deux corps d'armée commandés par Germanicus et P. Vitellius pendant leur retraite de Germanie font courir le bruit (où ? peut-être dans les castra du limes) du naufrage des légions.
Inpositae dein legiones, uagante fama submersas ; nec fides salutis, antequam Caesarem exercitumque reducem uidere. On fait ensuite embarquer les légions, alors que le bruit circulait qu’elles avaient été submergées ; et l’on ne croyait pas à leur survie avant de voir César et l’armée de retour.
28/430 [Ann] I, 76 Discussions et jugements à propos du comportement de Tibère face aux jeux
Tacite rapporte des jugements divers à propos du comportement sanguinaire de Drusus, fils de Tibère, lors des jeux des gladiateurs, et surtout de l'attitude de retrait de Tibère.
Edendis gladiatoribus, quos Germanici fratris ac suo nomine obtulerat, Drusus praesedit, quamquam uili sanguine nimis gaudens ; quo in uulgus formidolosum et pater arguisse dicebatur. Cur abstinuerit spectaculo ipse, uarie trahebant : alii taedio coetus, quidam tristitia ingenii et metu conparationis, quia Augustus comiter interfuisset. La direction d’un spectacle de gladiateur fut assumée par Drusus, qui l’avait offert au nom de son frère Germanicus et en son nom ; il le fit, se réjouissant par trop à la vue de ce sang, même vil ; cela eut pour conséquence l’effroi dans la foule, et le bruit que son père s’en était fâché. Pourquoi Tibère lui-même se tint-il à l’écart du spectacle ? On l’interprétait de diverses manières : les uns par son dégoût des rassemblements publics, certains par son caractère sévère et la crainte d’être comparé avec Auguste qui lui, en effet, y assistait avec bienveillance.
29/430 [Ann] I, 78 Revendications fiscales du peuple
Lors d'une occasion non précisée par Tacite (jeux ?), le peuple réclame la suppression d'une taxe (impôt du centième sur les ventes), sans réussite.
Centesimam rerum uenalium, post bella ciuilia institutam, deprecante populo, edixit Tiberius militare aerarium eo subsidio niti. Comme le peuple réclamait par des prières la suppression de l’impôt du centième sur les objets de ventes, que l’on avait établi après les guerres civiles, Tibère, par édit, affirma que le trésor militaire se fondait sur cette ressource.
30/430 [Ann] II, 2 Grogne des Parthes contre Vononès
Vononès, roi pro-romain envoyé chez les Parthes en 7/8 ap. J.-C., doit faire face à des jugements anonymes hostiles.
Et [Vononem regem] accepere barbari laetantes, ut ferme ad noua imperia. Mox subiit pudor degenerauisse Parthos : petitum alio ex orbe regem, hostium artibus infectum ; iam inter prouincias Romanas solium Arsacidarum haberi darique. Vbi illam gloriam trucidantium Crassum, exturbantium Antonium, si mancipium Caesaris, tot per annos seruitutem perpessum, Parthis imperitet ? Vonones fut accepté comme roi par les barbares, qui s’en réjouissaient comme d’ordinaire face à un nouveau commandement. Bientôt néanmoins survint un sentiment de honte : les Parthes s’étaient abâtardis ; ils avaient réclamé un roi venu d’un autre monde, un homme qui s’était imprégné du mode de vie de l’ennemi ; désormais, l’on considérait le trône des Arsacides comme une province romaine, et on le donnait comme tel. Où était donc passée la gloire d’un peuple qui massacrait Crassus et chassait Antoine si un esclave de César, rompu à la servitude pendant tant d’années, en venait à commander aux Parthes ?
31/430 [Ann] II, 12 Bruit de l'armée d'Arminius
À la veille de la bataille d'Idistavise, Germanicus apprend grâce à ses éclaireurs la proximité de l'armée germaine, menée par Arminius.
Suggressi propius speculatores audiri fremitum equorum inmensique et inconditi agminis murmur attulere. Des espions qui s’étaient rapprochés furtivement rapportèrent avoir entendu le hennissement des chevaux et le grondement d’une armée immense et confuse.
32/430 [Ann] II, 12 Germanicus s'interroge sur l'état d'esprit de ses soldats
À la veille de la bataille d'Idistavise, Germanicus se demande comment connaître au mieux l'état d'esprit de ses soldats, les structures d'interaction habituelles entre le commandant et la troupe (contiones notamment) lui paraissant trop limitées.
[Germanicus secum agitabat] tribunos et centuriones laeta saepius quam comperta nuntiare, libertorum seruilia ingenia, amicis inesse adulationem ; si contio uocetur, illic quoque quae pauci incipiant reliquos adstrepere. [Germanicus pensait que] les tribuns et les centurions rapportaient des nouvelles plus souvent heureuses qu’assurées ; les affranchis étaient dotés d’un esprit servile, les amis étaient dirigés par l’adulation. Convoquerait-il une assemblée ? Mais là aussi, les propositions du petit nombre sont approuvées bruyamment par le reste.
33/430 [Ann] II, 13 Germanicus parcourt son camp de nuit
À la veille de la bataille d'Idistavise, Germanicus parcourt son camp incognito afin de connaître l'état d'esprit de ses soldats. Il entend ainsi les rumeurs (positives) qui courent sur lui.
[Germanicus] fruitur fama sui, cum hic nobilitatem ducis, decorem alius, plurimi patientiam, comitatem, per seria, per iocos eundem animum laudibus ferrent, reddendamque gratiam in acie faterentur , simul perfidos et ruptores pacis ultioni et gloriae mactandos. […] Veniret dies, daretur pugna ; sumpturum militem Germanorum agros, tracturum coniuges : accipere omen et matrimonia ac pecunias hostium praedae destinare. [Germanicus] jouit alors de sa réputation : l’un fait l’éloge de la noblesse du général, l’autre de sa gloire, la plus grande partie de sa patience, de son affabilité, de son équanimité dans les affaires sérieuses et dans les badinages ; ils avouent qu’il faut lui rendre grâce dans la bataille, qu’il faut sacrifier à sa vengeance et à sa gloire ceux qui, par perfidie, ont rompu la paix. […] Que le jour vienne ! Qu’on livre bataille ! Les soldats sauront prendre les champs des Germains, sauront entraîner leurs femmes ; ils acceptent le présage : les épouses et les richesses des ennemis, ils les destinent au butin.
34/430 [Ann] II, 16 Réaction des Germains à l'hortatio d'Arminius
Les soldats germains réagissent avec enthousiasme au discours d'exhortation de leurs chefs, dont Arminius (bataille d'Idistavise).
Sic accensos et proelium poscentis in campum, cui Idistauiso nomen, [barbaros milites] deducunt. Une fois les soldats germains ainsi enflammés et réclamant le combat, on les conduit dans la plaine appelée Idistavise.
35/430 [Ann] II, 24 Récits des soldats romains emportés au loin par une tempête
Après le naufrage d'une partie de la flotte romaine, qui ramenait les légions en-deçà de la frontière, certains soldats racontent ce qu'ils ont vécu lors de la tempête.
Vt quis ex longinquo reuenerat, miracula narrabant, uim turbinum et inauditas uolucris, monstra maris, ambiguas hominum et beluarum formas, uisa siue ex metu credita. À mesure que l’on revenait de loin, on racontait des prodiges : c’était la violence des typhons, des oiseaux inouïs, des monstres marins, des silhouette incertaines d’hommes et de bêtes – toutes choses vues, sinon crues sous le coup de la peur.
36/430 [Ann] II, 25 Rumeur du naufrage de la flotte romaine
La tempête essuyée par la flotte romaine fait naître une rumeur chez les Romains et les Germains, poussant les second à reprendre courage.
Sed fama classis amissae ut Germanos ad spem belii, ita Caesarem ad coercendum erexit. Or, si le bruit de la perte de la flotte rendit aux Germains l’espoir de la guerre, il poussa César à les réprimer.
37/430 [Ann] II, 31 Mort de Libo Drusus
Libo Drusus, accusé de tramer une révolution, est poussé au suicide, dans l'une des premières affaires de lèse-majesté du règne de Tibère. La scène du suicide est l'occasion d'un tableau à la dimension sonore très travaillée.
Cingebatur interim milite domus, strepebant etiam in uestibulo ut audiri, ut aspici possent , cum Libo, ipsis quas in nouissimam uoluptatem adhibuerat epulis excruciatus, uocare percussorem, prensare seruorum dextras, inserere gladium. Atque illis, dum trepidant, dum refugiunt , euertentibus adpositum cum mensa lumen, feralibus iam sibi tenebris duos ictus in uiscera derexit. L’on entourait pendant ce temps la maison de soldats ; ils remplissaient de bruit le vestibule : on pouvait les entendre, on pouvait les voir, alors que Libo, que le festin même auquel il s’était appliqué pour y trouver un ultime plaisir ne lui fournissait que du tourment, appelait quelqu’un pour le frapper, cherchait à prendre les mains de ses esclaves, leur donnait son glaive. Mais eux, s’agitant, essayant de fuir, renversent la table et, posée sur elle, le flambeau – Libo, déjà entouré de funestes ténèbres, se transperça en deux coups les entrailles.
38/430 [Ann] II, 38 Réactions du sénat au refus de soutien financier de Tibère à M. Hortalus
Face à la détresse financière de M. Hortalus, petit-fils d'Hortensius, Tibère refuse de venir en aide à ce sénateur d'une noble famille, suscitant des réactions (sonores) négatives chez les pères conscrits, qui conduiront le prince à adoucir sa décision.
Haec atque talia, quamquam cum adsensu audita ab iis quibus omnia principum, honesta atque inhonesta, laudare mos est, plures per silentium aut occultum murmur excepere. Ces paroles et d’autres du même genre reçurent l’assentiment des oreilles qui ont coutume de louer toute action des princes, qu’elle soit bonne ou non ; néanmoins, le plus grand nombre les accueillirent dans le silence ou avec un murmure dissimulé.
39/430 [Ann] II, 39-40 Affaire du faux Agrippa Postumus
Clemens, un esclave d'Agrippa Postumus (petit-fils d'Auguste, fils d'Agrippa et de Julia), se fait passer pour son maître, mort en 14 ap. J.-C., pour tenter de prendre le pouvoir. Sa stratégie repose en grande partie sur la maîtrise des rumeurs et informations alternatives, qui courent en Italie et à Rome.
[Clemens] ignotis locis sese abdit, donec crinem barbamque promitteret : nam aetate et forma haud dissimili in dominum erat. Tum per idoneos et secreti eius socios crebrescit uiuere Agrippam, occultis primum sermonibus , ut uetita solent, mox uago rumore apud inperitissimi cuiusque promptas auris aut rursum apud turbidos eoque noua cupientis. Atque ipse adire municipia obscuro diei, neque propalam aspici, neque diutius isdem locis, sed quia ueritas uisu et mora , falsa festinatione et incertis ualescunt, relinquebat famam aut praeueniebat. (40) Vulgabatur interim per Italiam seruatum munere deum Agrippam, credebatur Romae ; iamque Ostiam inuectum 5multitudo ingens, iam in urbe clandestini coetus celebrabant , cum Tiberium anceps cura distrahere , uine militum seruum suum coerceret an inanem credulitatem tempore ipso uanescere sineret. [Clemens] se retire dans des lieux inconnus, le temps de se laisser pousser les cheveux et la barbe : de fait, il était proche en âge et en apparence de son maître. Alors grâce à des personnes compétentes qui partagent son secret se répand le bruit qu’Agrippa est en vie, d’abord dans des discussions secrètes, comme d’ordinaire pour les sujets tabous, puis via une rumeur mouvante qui s’accrédite auprès des oreilles bien disposées des gens les moins informés ou, au contraire, d’une frange agitée et, pour cette raison, avide de changements. Quant à lui, il allait dans les municipes au crépuscule sans se montrer publiquement ni rester longtemps au même endroit ; mais puisque la vérité a besoin de lumière et de délai pour s’affermir, alors que le mensonge ne demande que l’empressement et l’incertitude, il laissait derrière lui les on-dit ou les devançait. Le bruit se répandait pendant ce temps en Italie qu’une faveur divine avait sauvé Agrippa, et on le croyait à Rome ; déjà, une immense foule le célébrait à son arrivée à Ostie ; de même à Rome dans des réunions secrètes. Un double souci faisait hésiter Tibère : emploierait-il la force militaire pour maîtriser un esclave qui était sien ou laisserait-il à l’œuvre du temps le soin de disperser cette vaine croyance ?
40/430 [Ann] II, 41 Triomphe de Germanicus
Le triomphe de Germanicus en 17 ap. J.-C. est l'occasion pour Tacite de décrire les réactions mitigées des spectateurs, partagés entre la joie de l'événement et la prémonition du désastre qui menace le jeune prince et sa famille.
Augebat intuentium uisus eximia ipsius [Germanici] species currusque quinque liberis onustus. Sed suberat occulta formido , reputantibus haud prosperum in Druso patre eius fauorem uulgi, auunculum eiudem Marcellum fragrantibus plebis studiis intra iuuentam ereptum, breuis et infaustos populi Romani amores . Le spectacle s’enrichissait, chez ceux qui le regardaient, de l’apparence rare de Germanicus lui-même et de son char occupé par ses cinq enfants. Mais derrière cette joie se terrait l’effroi, lorsque l’on songeait que la bienveillance de la foule n’avait pas été favorable à Drusus, son père, que son oncle encore, Marcellus, avait été emporté, alors qu’il était encore jeune, à l’affection ardente que lui vouait la plèbe, que ces amours du peuple romain étaient brèves et funestes.
41/430 [Ann] II, 55 Menées de Pison auprès des légions de Syrie
Pison (Gn. Calpurnius Piso), nommé gouverneur de Syrie, arrive auprès des quatre légions qui s'y trouvaient et exerce immédiatement, à en croire Tacite, une influence néfaste sur elles.
Et postquam [Piso] Syriam ac legiones attigit, largitione, ambitu, infimos manipularium iuuando, cum ueteres centuriones, seueros tribunos demoueret locaque eorum clientibus suis uel deterrimo cuique  attribueret, desidiam in castris, licentiam in urbibus, uagum ac lasciuientem per agro militem sineret, eo usque corruptionis prouectus est ut sermone uulgi parens legionum haberetur. Nec Plancina se intra decora feminis tenebat, sed exercitio equitum, decursibus cohortium interesse, in Agrippinam, in Germanicum contumelias iacere, quibusdam etiam bonorum militum ad  mala obsequia promptis, quod haud inuito imperatore ea fieri occultus rumor incedebat. Après avoir atteint les légions de Syrie, Pison eut recours à la libéralité, à la brigue, à l’aide donnée aux plus humbles soldats ; dans le même temps, il délogeait les anciens centurions et les tribuns rigoureux pour donner leur place à ses clients ou aux pires éléments et laissait s’installer la paresse dans le camp, la licence dans les villes, l’inconstance et le relâchement chez les soldats ; de cette façon, il en vint à ce degré de débauche que les on-dit de la foule le considéraient comme le père des légions. Mais Plancine ne se limitait pas non plus à ce qui sied aux femmes : au contraire, elle travaillait à l’exercice des cavaliers et se mêlait aux manœuvres des cohortes, outrageant Agrippine, outrageant Germanicus –  certains bons soldats allaient même jusqu’à lui témoigner une complaisance coupable parce que, secrètement, le bruit se répandait que cela n’allait pas à l’encontre de la volonté de l’empereur.
42/430 [Ann] II, 60 Récits locaux sur Hercule
Le voyage de Germanicus en Égypte est l'occasion pour Tacite de rapporter des récits locaux (et oraux ?) sur Hercule.
Inde [Canopo] proximum amnis os dicatum Herculi, quem indigenae ortum apud se et antiquissimum perhibent eosque, qui postea pari uirtute fuerint, in cognomentum eius adscitos. De Canope, Germanicus se rendit à l’embouchure la plus proche du fleuve, qui était dédiée à Hercule : les indigènes rapportent que c’est chez eux qu’il est né, et qu’il est très ancien ; pour eux, tous ceux qui ont par la suite été d’une valeur égale ont été célébrés de son nom.
43/430 [Ann] II, 71 Vltima uerba de Germanicus
Dans ses dernières paroles, Germanicus donne à ses amis la mission de le venger, distinguant leur devoir d'amici des lamentations pathétiques de la foule.
Erit uobis [amicis meis] locus querendi apud senatum, inuocandi leges. Non hoc praecipuum amicorum munus est, prosequi defunctum ignauo questu, sed quae uoluerit meminisse, quae mandauerit exequi. Flebunt Germanicum etiam ignoti ; uindicabitis uos, si me potius quam fortunam meam fouebatis. Ce sera l’occasion pour vous, mes amis, de vous plaindre devant le sénat et de produire des lois. Le principal devoir des amis n’est pas d’accompagner le défunt d’une plainte inutile, mais de se souvenir de ses volontés et d’exécuter ses requêtes. Même les inconnus pleureront Germanicus ; vous, en revanche, vous le vengerez, si votre faveur allait à moi plutôt qu’à ma fortune.
44/430 [Ann] II, 72 Deuil de l'Orient à la mort de Germanicus
Les peuples et provinces proches d'Antioche, où meurt Germanicus en octobre 19 ap. J.-C., prennent immédiatement le deuil.
Neque multo post extinguitur, ingenti luctu prouinciae et circumiacentium populorum. Indoluere exterae nationes regesque. Il s’éteint peu après, provoquant l’immense affliction de la province et des peuples à l’entour. Les nations et les rois étrangers en furent [aussi] peinés.
45/430 [Ann] II, 73 Jugements anonymes sur Germanicus
Après la mort de Germanicus, Tacite rapporte, sous la forme du discours anonyme, les propos (à ses yeux inconsistants) qui courent sur le jeune prince, et tiennent lieu de notice nécrologique.
Et erant qui formam, aetatem, genus mortis ob propinquitatem etiam locorum in quibus interiit, magni Alexandri fatis adaequarent. Nam utrumque corpore decoro, genere insigni, haud multum triginta egressum, suorum insidiis externas inter gentis occidisse : sed hunc mitem erga amicos, modicum uoluptatum, uno matrimonio, certis liberis egisse, neque minus proeliatorem, etiam si temeritas afuerit praepeditusque sit perculsas tot uictoriis Germanias seruitio premere. Et il y en avait pour comparer sa beauté, son âge, la nature de sa mort, et même la proximité du lieu où il avait péri à la destinée d’Alexandre le Grand. De fait, affirmaient-ils, tous deux étaient d’une grande vigueur et d’une noblesse illustre ; ils avaient à peine dépassé les trente ans et péri en terre étrangère sous les coups de manœuvres venues de leur propre camp ; le premier, néanmoins, (disait-on), avait montré de la douceur vis-à-vis de ses amis et de la modération dans les plaisirs ; il n’avait fait qu’un seul mariage et n’avaient d’enfants que légitimes ; il n’était pas non plus moins enclin au combat, même sans être téméraire et quoique les  entraves de la servitude l’eussent empêché d’écraser la Germanie qu’il avait choquée de tant de victoires.
46/430 [Ann] II, 75 Agrippine attire la sympathie en Orient
Au moment de s'embarquer pour Rome, Agrippine est l'objet d'une lamentation collective (anonyme et très peu circonstanciée), qui déplore sa situation présente et à venir.
At Agrippina, quamquam defessa luctu et corpore aegro, omnium tamen quae ultionem morarentur intolerans ascendit classem cum cineribus Germanici et liberis, miserantibus cunctis quod femina nobilitate princeps, pulcherrimo modo matrimonio, inter uenerantis gratantisque aspici solita, tunc feralis reliquias sinu ferret, incerta ultionis, anxia sui et infelici fecunditate fortunae  totiens obnoxia . Quant à Agrippine, elle était abattue par le chagrin et par la maladie ; néanmoins, ne pouvant tolérer tout ce qui pouvait retarder sa vengeance, embarque sur la flotte avec les cendres de Germanicus et ses enfants ; tous se plaignaient quand ils songeaient que cette femme, la première par le rang, qui, naguère, jouissait d’un mariage exceptionnel, et que l’on voyait entourée des marques du respect et de la gratitude, portât désormais sur son sein des restes funèbres, incertaine de sa vengeance, tourmentée pour son avenir et tant de fois soumise aux revers de fortune par une fécondité contraire.
47/430 [Ann] II, 76 Hésitations de Pison (1)
Ayant appris la mort de Germanicus, Pison hésite à rester en Syrie ou à rentrer à Rome, et réunit son conseil. Les centurions sont favorables à une reprise en main de l'armée, mais son fils l'exhorte à rentrer à Rome et à ne pas se défier des rumeurs.
Adfluebant centuriones monebant que prompta illi [Pisoni] legionum studia : repeteret prouinciam non iure ablatam et uacuam. Igitur quid agendum consultanti M. Piso filius properandum in urbem censebat : nihil adhuc inexpiabile admissum neque suspiciones imbecillas aut inania famae pertimescenda. Les centurions affluaient en lui rappelant que l’allégeance des légions lui revenait : qu’il gagne donc la province, qu’on lui avait enlevée illégalement et qui restait vide. Son fils, M. Piso, qu’il interrogeait en conséquence sur l’action à mener, était d’avis de se rendre en hâte à Rome : il n’avait, à l’entendre, encore rien commis d’inexpiable, et les vaines suspicions ou les futilités de la rumeur n’étaient pas à craindre par-dessus tout.
48/430 [Ann] II, 77 Hésitations de Pison (2)
Ayant appris la mort de Germanicus, Pison hésite à rester en Syrie ou à rentrer à Rome, et réunit son conseil. Domitius Celer, qui prend la parole ici, l'exhorte à rester en Syrie ; l'un des arguments est la force des rumeurs que la popularité de Germanicus pourrait déclencher à Rome.
Relinquendum etiam rumoribus tempus quo senescant : plerumque innocentis recenti inuidiae imparis. At si teneat exercitum, augeat uiris, multa quae prouideri non possint fortuito in melius casura . « An festinamus cum Germanici cineribus adpellere , ut te inauditum et indefensum planctus Agrippinae ac uulgus imperitum primo rumore rapiant ? » Il fallait aussi laisser le temps aux rumeurs de vieillir : souvent, les innocents ne pouvaient rien face à une haine récente. Au contraire, s’il était maître d’une armée, s’il augmentait ses forces, bien des événements imprévisibles pourraient tourner/tourneraient bien par hasard. « Ou peut-être que nous nous hâtons d’aborder avec les cendres de Germanicus afin que toi, sans être entendu et sans te défendre, tu sois déchiré par les plaintes d’Agrippine et par une foule ignorante, la première rumeur venue ? »
49/430 [Ann] II, 82 Arrivée de la nouvelle de la mort de Germanicus à Rome et réaction des Romains
Des nouvelles contradictoires arrivèrent successivement à Rome à la mort de Germanicus ; lorsque celle-ci fut définitivement connue, la ville plongea dans l'affliction.
At Romae, postquam Germanici ualetudo percrebuit cunctaque ut ex longinquo aucta in deterius adferebantur, dolor, ira et erumpebant questus . Ideo nimirum in extremas terras relegatum , ideo Pisoni permissam prouinciam ; hoc egisse secretos Augustae cum Plancina sermones . Vera prorsus de Druso seniores locutos : displicere regnantibus ciuilia filiorum ingenia, neque ob aliud interceptos quam quia populum Romanum aequo iure complecti reddita libertate agitauerint . Hos uulgi sermones audita mors adeo incendit ut ante edictum magistratuum, ante senatus consultum sumpto iustitio deserentur fora, clauderentur domus . Passim silentia et gemitus, nihil compositum in ostentationem ; et, quamquam neque insignibus lugentium abstinerent, altius animis maerebant . Forte negotiatores uiuente adhuc Germanico Syria egressi laetiora de ualetudine eius attulere. Statim credita, statim uulgata sunt : ut quisque obuius, quamuis leuiter audita in alios atque illi in plures cumulata gaudio transferunt . Cursant per urbem, moliuntur templorum foris ; iuuat credulitatem nox et promptior inter tenebras adfirmatio. Nec obstitit falsis Tiberius donec tempore ac spatio uanescerent : et populus quasi rursum eremptum acrius doluit. À Rome, toutefois, lorsque l’état de santé de Germanicus fut connu et que toutes les nouvelles, grossies par la distance, eurent été tournées au mal, la souffrance, la colère éclatèrent, ainsi que les plaintes. C’était sans doute pour cette raison qu’il avait été exilé aux extrémités de la terre, pour cette raison que sa province avait été transmise à Pison ! C’était donc là ce à quoi avaient abouti les propos secrets d’Augusta et de Plancine ! Les vieillards n’avaient dit que la vérité au sujet de Drusus : ils ne plaisent pas au pouvoir, ces fils au caractère populiste – et la seule raison pour laquelle ils avaient été supprimés, c’était parce qu’ils avaient songé à rassembler le peuple sous l’égalité du droit en lui rendant sa liberté. Ces propos de la foule s’accentuèrent à la nouvelle de sa mort, au point qu’ils devancèrent l’édit des magistrats et le sénatus-consulte pour suspendre les affaires, quitter le forum, déserter les maisons. Partout, le silence et les gémissements, sans aucun arrangement à visée ostentatoire ; et, quoique l’on ne négligeât point les symboles du deuil, c’était les cœurs qui, plus en profondeur, s’affligeaient. Par hasard, des marchands, partis de Syrie alors que Germanicus était encore vivant, apportèrent des nouvelles plus favorables sur son état de santé. Aussitôt crues, aussitôt répandues ! À mesure que l’on se rencontre, on transmet ces on-dit (reçus bien légèrement) à d’autres, qui rapportent à un plus grand nombre des propos grossis par la joie. L’on court dans la ville, l’on force les portes des temples ; la nuit aide à la crédulité et, dans les ténèbres, on a plus de facilité à affirmer. Quant à Tibère, il ne s’opposa pas à ces mensonges jusqu’à ce que le temps et la distance les fassent disparaître ; le peuple, lui, pleura avec plus de force un homme qu’il pensait avoir perdu une deuxième fois.
50/430 [Ann] II, 87 Récriminations de la plèbe contre le cours de l'annone
La hausse du prix du blé déclenche des plaintes dans la plèbe, sans que Tacite en précise les modalités (lieu, forme de la communication) ; ces critiques poussent Tibère à réagir.
Saeuitiam annonae incusante plebe statuit [Tiberius] frumento pretium quod emptor penderet, binosque nummos se additurum negotiatoribus in singulos modios. Comme la plèbe se plaignait des rigueurs du cours de l’annone, Tibère décida que le blé aurait le prix qu’il coûtait à l’acheteur ; lui-même donnerait en plus deux sesterces aux marchands pour chaque boisseau.