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Voix de la Foule chez Tacite

Extemplo Libyae magnas it Fama per urbes, / Fama, malum qua non aliud velocius ullum [...]

(Virgile, Énéide, 4.173-174)

Illustration médiévale de la Fama

Illustration de l'édition Brant de l'Énéide, Strasbourg 1502

Affichage du corpus

En jaune, les termes renvoyant à une vocalisation collective. En vert, le discours indirect rattaché à la foule.

51/430 [Ann] III, 1 Attitude de la foule à l'arrivée d'Agrippine à Brindes
Une foule bigarrée se regroupe à Brindes, où doit débarquer Agrippine, et s'interroge sur l'attitude convenable à adopter face à la veuve de Germanicus.
Atque ubi primum ex alto uisa classis, complentur non modo portus et proxima maris, sed moenia ac tecta, quaque longissime prospectari poterat, maerentium turba et rogitantium inter se silentione an uoce aliqua egredientem exciperent . […] Postquam duobus cum liberis, feralem urnam tenens, egressa naui defixit oculos, idem omnium gemitus ; neque discerneres proximos alienos, uirorum feminarumue planctus. Et dès que l’on aperçut la flotte au loin, ce ne sont pas seulement le port et le rivage qui sont pris d’assaut, mais aussi les murs et les toits et tous les endroits qui permettaient d’observer le grand large – foule endeuillée qui s’interrogeait : fallait-il accueillir son arrivée par le silence ou avec quelque cri ? Lorsque, accompagnée par deux enfants et portant l’urne funéraire, elle fut sortie du navire et qu’elle eut baissé les yeux, chez tous, le même gémissement ; et l’on ne pouvait même pas distinguer les proches amis des étrangers, les cris de douleur des hommes de ceux des femmes.
52/430 [Ann] III, 2 Lamentation du cortège d'Agrippine qui rentre à Rome
La marche d'Agrippine, portant les cendres de Germanicus, est accompagnée des déplorations des habitants des villes que le cortège traverse.
Etiam quorum diuersa oppida, tamen obuii et uictimas atque aras dis Manibus statuentes lacrimis et conclamationibus dolorem testabantur . […] Consules M. Valerius et M. Aurelius (iam enim magistratum occeperant) et senatus ac magna pars populi uiam compleure, disiecti et ut cuique libitum flentes . Même les citoyens de villes distantes venaient toutefois à leur rencontre, sacrifiaient des victimes et dressaient des autels aux dieux Mânes ; par leurs larmes et leurs lamentations communes, ils témoignaient de leur douleur. Les consuls M. Valérius et M. Aurélius (en effet, ils étaient déjà entrés en fonction), le sénat et une grande partie du peuple se répandirent sur la route, çà et là, chacun pleurant selon son bon vouloir.
53/430 [Ann] III, 4 Funérailles de Germanicus
Même si la crémation du corps a été faite à Antioche, Germanicus est inhumé à Rome, et les honneurs funèbres lui y sont rendus. Tacite décrit la déploration collective et le désespoir de toute la cité (soldats, sénat, peuple) qui assistent à la cérémonie.
Dies quo reliquiae [Germanici] tumulo Augusti inferebantur modo per silentium uastus, modo ploratibus inquies ; plena urbis itinera, conlucentes per campum Martis faces. Illic miles cum armis, sine insignibus magistratus, populus per tribus concidisse rem publicam, nihil spei reliquum clamitabant, promptius apertiusque quam ut meminisse imperitantium crederes. Nihil tamen Tiberium magis penetrauit quam studia hominum accensa in Agrippinam, cum decus patriae, solum Augusti sanguinem, unicum antiquitatis specimen appellarent uersique ad caelum ac deos integram illi subolem ac superstitem iniquorum precarentur. Le jour où l’on apportait ses restes au tombeau d’Auguste, tantôt la désolation faisait régner le silence, tantôt les cris de lamentation agitaient la ville ; les routes étaient remplies, les torches, au Champ de Mars, brillantes. Là se tenaient les soldats en armes, là, sans leurs insignes, les magistrats, le peuple groupé par tribus ; « l’État s’écroule ! Il ne reste aucun espoir ! » : voilà ce qu’ils ne cessaient de crier, et ce avec trop de naturel et de franchise pour que l’on puisse croire qu’ils se souvenaient de ceux qui les gouvernaient. Et pourtant, rien ne fut plus vivement ressenti par Tibère que la ferveur ardente de ces gens pour Agrippine, alors qu’ils lui donnaient le nom d’honneur de la patrie, d’unique sang d’Auguste, de dernier exemple des mœurs de jadis, et que, se tournant vers le ciel et les dieux, ils priaient pour que la descendance d’une telle femme soit épargnée et survive à ces temps d’injustice
54/430 [Ann] III, 5-6 Rumeurs critiquant l'organisation des honneurs funèbres rendus à Germanicus
Pendant (ou après) les « funérailles » de Germanicus à Rome, on entendit, selon Tacite, des commentaires, qualifiés ensuite de rumeurs, critiquant l'attitude de Tibère, en retrait, et les maigres honneurs rendus à Germanicus à cette occasion.
Fuere qui publici funeris pompam requirerent compararentque quae in Drusus patrem Germanici honora et magnifica Augustus fecisset. Ipsum quippe asperrimo hiemis Ticinum usque progressum neque abscedentem a corpore simul urbem intrauisse ; circumfusas lecto Claudiorum Iuliorumque imagines ; defletum in foro, laudatum pro rostris, cuncta a maioribus reperta aut quae posteri inuenerint cumulata : at Germanico ne solitos quidem et cuicumque nobili debitos honores contigisse. Sane corpus ob longinquitatem itinerum externis terris quoquo modo crematum ; sed tanto plura decora mox tribui par fuisse quanto prima fors negauisset. Non fratrem nisi unius diei uia, non patruum saltem porta tenus obuium. Vbi illa ueterum instituta , propositam toro effigiem, meditata ad memoriam uirtutis carmina et laudationes et lacrimas uel doloris imitamenta  ? (6) Gnarum id Tiberio fuit ; utque premeret uulgi sermones, monuit edicto multos inlustrium Romanorum ob rem publicam obisse, neminem tam flagranti desiderio celebratum. Il y en eut pour réclamer l’apparat attaché aux funérailles publiques, et pour comparer le sublime des honneurs faits par Auguste à Drusus, le père de Germanicus. De fait, disaient-ils, l’empereur en personne, au plus rude de l’hiver, s’était avancé jusqu’à Ticinum et, sans s’éloigner du corps, était entré en même temps que lui dans la ville ; son lit avait été entouré des portraits de Claudii et de Iulii ; on l’avait pleuré sur le forum, loué aux rostres, faisant appel à tout ce que les ancêtres avaient imaginé ou que leurs successeurs avait inventé ; Germanicus, lui, n’avait pas même joui des honneurs traditionnellement dus à quelque personne noble que ce soit. Certes, la longueur du voyage les avait poussés à trouver un moyen de bruler son corps en terre étrangère ; mais il était d’autant plus convenable de lui attribuer plus d’honneur que le hasard l’avait d’abord empêché. Mais son frère ne s’était présenté que lorsqu’il était à un jour de voyage, et son oncle n’était pas même allé aux portes ! Où donc étaient passé les fameuses institutions des ancêtres, la statue posée devant le lit funèbre, les poèmes crées à la mémoire de sa valeur et les éloges, et les larmes, ou du moins l’imitation de la douleur ? (6) Tibère appris ces mots ; et pour réprimer les paroles de la foule, il fit observer par un édit que de nombreux Romains illustres étaient morts pour l’État, mais que personne d’avait été honoré d’un regret si brûlant.
55/430 [Ann] III, 7 Plaintes contre Pison
À l'issue de la période de deuil, les esprits se tournent vers Pison, dont l'attitude suspecte, en Orient, est critiquée.
Tum exuto iustitio reditum ad munia et Drusus Illyricos ad exercitus profectus est, erectis omnium animis petendae e Pisone ultionis et crebro questu, quod uagus interim per amoena Asiae atque Achaiae adroganti et subdola mora scelerum probationes subuerteret. Nam uulgatum erat missam, ut dixi, a Cn. Sentio famosam ueneficiis Martinam subita morte Brundisii extinctam, uenenumque nodo crinium eius occultatum nec ulla in corpore signa sumpti exitii reperta. La période de suspension des affaires déclarée terminée, l’on retourna à ses devoirs et Drusus partit pour l’armée d’Illyrie ; tous les esprits restaient mobilisés à la recherche d’une vengeance contre Pison, et l’on entendait fréquemment des plaintes de ce qu’il vivotait pendant ce temps au milieu des délices de l’Asie et de l’Achaïe, supprimant par un fourbe retard, symbole de sa superbe, les preuves de ses crimes. En effet, le bruit s’était répandu que l’envoyée de Cn. Sentius, comme je l’ai dit, Martine, dont les poisons faisaient la gloire, s’était éteinte d’une mort subite à Brindes, et que du venin avait été caché dans le nœud que formaient ses cheveux, sans que l’on eût trouvé sur son corps quelque trace d’un suicide.
56/430 [Ann] III, 9 Rumeurs sur le retour de Pison à Rome
Des rumeurs (courant à Rome, sans doute) affirment que Pison s'est conduit de manière suspecte avec ses soldats lors de son retour à Rome.
Eaque res agitata rumoribus ut in agmine atque itinere crebro se militibus ostentauisset. Ce fut une chose très discutée par des rumeurs que la manière dont il s’était fréquemment montré aux soldats pendant le trajet de la troupe.
57/430 [Ann] III, 10 Pensées de Pison à la veille de son procès
Pison voit d'un bon œil la décision de Tibère d'instruire lui-même son procès, convaincu qu'il se montrera insensible à la pression populaire (et en particulier aux rumeurs).
Petitumque est a principe [Tiberio] cognitionem [Pisonis] exciperet. Quod ne reus quidem abnuebat, studia populi et patrum metuens : contra Tiberium spernendis rumoribus ualidum et conscientiae matris innexum esse. On demanda au prince d’instruire l’enquête. Cette mesure n’était même pas combattue par l’accusé, qui craignait les ferveurs du peuple et des sénateurs ; à l’opposé, songeait-il, Tibère était fort pour mépriser les rumeurs et lié à la complicité de sa mère.
58/430 [Ann] III, 11 État d'esprit de la cité à la veille du procès de Pison
Tacite décrit l'état de tension extrême de Rome alors que le procès de Pison doit commencer.
Post quae [Drusum redientem] reo L. Arruntium, P. Vinicium, Asinium Gallum, Aeserninum Marcellum, Sex. Pompeium patronos petenti iisque diuersa excusantibus, M’. Lepidus et L. Piso et Liuineius Regulus adfuere, arrecta omni ciuitate, quanta fides amicis Germanici, quae fiducia reo ; satin cohiberet ac premeret sensus suos Tiberius. Haud alias intentior populus plus sibi in principem occultae uocis aut suspicacis silentii permisit. Après ces événements, comme l’accusé réclamait comme défenseurs Lucius Arruntius, Publius Vinicius, Asinius Gallus, Aeserninus Marcellus et Sextus Pompée et que ceux-ci alléguaient comme excuse des motifs différents, ce furent Manius Lepidus, Lucius Pison et Livineius Regulus qui le soutinrent. Toute la ville était alors dans l’attente de savoir à quel point les amis de Germanicus se monteraient fidèles, combien l’accusé ferait preuve de hardiesse, si Tibère réussirait à contenir et à réprimer ses sentiments. À aucun autre moment, le peuple ne se montra plus attentif et ne se permit plus de parler secrètement ou de faire peser des silences menaçants contre l’empereur.
59/430 [Ann] III, 14 Clameurs et rumeurs hostiles du peuple pendant le procès de Pison
Pendant le procès de Pison, le peuple, qui pensait, peut-être sur la foi d'une rumeur (dont Tacite ne fait pas mention, cependant), que le gouverneur de Syrie serait peut-être acquitté, fit entendre des clameurs devant la curie, exerçant ainsi une forte pression sur les sénateurs, avant de se demander, par une rumeur, quelle décision a été prise par le prince.
Simul populi ante curiam uoces audiebantur : non temperaturos manibus si patrum sententias [Piso] euasisset . Effigiesque Pisonis traxerant in Gemonias ac diuellebant, ni iussu principis protectae repositaeque forent. Igitur inditus lecticae et a tribuno praetoriae cohortis deductus est, uario rumore custos saluti an mortis exactor sequeretur. En même temps, l’on entendait devant la curie le bruit du peuple : à les entendre, ils ne sauraient maîtriser leurs mains si Pison échappait à la décision du Sénat. Des images de Pison, amenées aux Gémonies, allaient y être saccagées, si un ordre du prince ne les avaient pas protégées et remises en place. Pison est donc placé dans une litière et conduit par le tribun de la cohorte prétorienne, accompagné d’une rumeur hésitante sur ce gardien : le suivait-il pour s’assurer de son salut ou de son meurtre ?
60/430 [Ann] III, 15 Clameurs hostiles des sénateurs pendant le procès de Pison
La reprise du procès donne lieu à des clameurs hostiles de la part des sénateurs à l'encontre de Pison.
Redintegratamque accusationem, infensas patrum uoces , aduersa et saeua cuncta perpessus, nullo magis exterritus quam quod Tiberium sine miseratione, sine ira, obstinatum clausumque uidit, ne quo adfectu perrumperetur . On reprit l’accusation, sous les bruits hostiles des sénateurs et toute la cruauté de leur opposition : il endura cela, mais rien ne le terrifia plus que l’attitude dépourvue de compassion et de colère de Tibère, qu’il voyait obstiné et fermé afin qu’aucun sentiment ne se fît jour.